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Eric Denécé : l’Arabie saoudite dépense autant pour sa diplomatie religieuse que pour ses achats d'armements







17 Octobre 2017

Le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), vient de publier un ouvrage qui dénonce sans ambiguïté le rôle de l’Arabie saoudite dans le développement de l’islam radical et du terrorisme djihadiste. Nous avons rencontré son directeur, Eric Denécé, qui a piloté cet ouvrage.


Q : Qu’est-ce qui vous a conduit à cibler ainsi l’Arabie saoudite ? Cet Etat représente-t-il réellement un danger pour la France et le monde ?

Par sa volonté d’imposer sa vision sectaire de l’islam, par son autoritarisme interne, son soutien direct ou indirect au terrorisme, sa politique étrangère dangereuse et son intervention armée chez ses voisins, cet Etat est un facteur majeur de déstabilisation du Moyen-Orient et du monde. Pourtant, cette réalité indéniable est occultée par la quasi-totalité des dirigeants occidentaux. Etonamment, alors que leurs Etats sont les cibles de la haine et de la violence wahhabites qui s’attachent à saper les fondements de leurs sociétés démocratiques, ils poursuivent, voire accroissent, leur coopération avec Riyad et ferment les yeux sur ses agissements coupables.

Q : Dans votre ouvrage, vous insistez notamment sur les liens étroits et contre-nature qui unissent les Occidentaux et le royaume saoudien.…

Ce n’est pas la première fois qu’une alliance est conclue entre les Occidentaux et les islamistes ; la première date de la Guerre froide, afin de contrer l’Union soviétique qui soutenait les régimes laïcs et nationalistes arabes. Puis d’autres furent conclues lors de la guerre d’Afghanistan en 1979, des « printemps » arabes - notamment afin de renverser Muhammad Kadhafi – et de la guerre en Syrie. Et chaque fois que le régime des Saoud a été en danger, il a fait appel aux Occidentaux. Cela a été le cas en 1979, lorsque des gendarmes français du GIGN ont libéré la grande mosquée de La Mecque occupée par des islamistes radicaux, ou en 1991, lorsque les Américains, les Britanniques et les Français sont intervenus à l’occasion de l'invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein.
            Mais il y a aujourd’hui plus grave que ces alliances contre-nature qui ont pu avoir un temps une certaine justification. C’est la volonté des Occidentaux d’empêcher que Riyad soit critiqué et que l’opinion ne prenne conscience de la nature réelle de cet Etat infréquentable. Ainsi, à l’occasion de ses enquêtes sur le financement du terrorisme par l’Arabie saoudite, Richard Labévière(1) , s’est heurté aux injonctions du Quai d’Orsay - sous Alain Juppé comme sous Laurent Fabius - qui ne souhaitait pas que soit mis en lumière le financement de l’islam radical par l’Arabie saoudite. De même, Pierre Conesa a insisté sur l’ostracisme dont a été l’objet en France son dernier ouvrage(2) qui a le mérite de dénoncer haut et fort la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite et qui plaide pour la levée des ambigüités qui sous-tendent nos relations avec ce royaume de l’extrémisme. En revanche, peu de gens s’offusquent – ou savent -  que dans notre pays, pas moins de cinq agences de conseil en communication se chargent de « corriger » l'image des Saoud dans l'opinion.
 
1 Les Dollars de la terreur – Les Etats-Unis et les islamistes. Grasset, Paris, 1998.
2 Docteur Saoud et Mr Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite, Paris, Robert Laffont, Paris, 2016.

Q : Le royaume saoudien continue-t-il de diffuser ses idées religieuses radicales et de financer les mosquées et groupes islamistes dans le monde ?

Absolument. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite dépense à peu près autant pour sa diplomatie religieuse que pour ses achats d'armements, soit entre 5 et 8 milliards de dollars par an. Comme l’a mis en lumière Pierre Conesa,, la diplomatie religieuse de Riyad est un modèle d'endoctrinement et de prosélytisme, une véritable usine à propager le racisme, la misogynie, l'homophobie et la haine du dissemblable. Elle bénéficie d'une totale impunité auprès de la communauté internationale corrompue par les achats de pétrole et les ventes d'armes. Elle s’appuie sur le formidable réseau d'influence de la Ligue islamique mondiale, une ONG qui dispose d'un budget annuel estimé à 5 milliards de dollars.
            En conséquence, chaque jour, nous observons les effets dévastateurs de son influence partout dans le monde, notamment en France - tant à travers la radicalisation de certains de nos concitoyens et de mosquées, que par les actes terroristes qui ont frappé notre pays -, comme au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est.
            Récemment encore, l’Allemagne a averti que des prédicateurs saoudiens étaient en train de propager le wahhabisme dans les Balkans. Et un récent rapport du Think Tank britannique Henry Jackson Society a mis également en lumière le fait que, de tous les États du Moyen-Orient - Iran compris -, l'Arabie saoudite était le principal bailleur de fonds de l'extrémisme en Grande-Bretagne et dans le monde. Il affirme que, depuis les années 1960, Riyad « a dépensé des dizaines de millions de dollars pour exporter l'islam wahhabite dans le monde islamique, y compris dans les communautés musulmanes occidentales(1) ». Le rapport attribue implicitement la responsabilité de la violence politique perpétrée par les musulmans à l’idéologie extrémiste propagée par les Saoudiens. Il ajoute que ces derniers « contribuent à la diffusion d'interprétations extrémistes et illégitimes de l'islam dans la communauté musulmane britannique dans son ensemble » et énumère une impressionnante liste de mosquées fondées au Royaume-Uni par l'Arabie qui sont très clairement des repaires d’extrémistes.
 
1 Ibid. Traduction de l’auteur

Q : Pensez-vous qu’une évolution de la politique occidentale à l’égard des Saoudiens soit possible à court terme ?

Je crains que non. Pourtant, seize ans après les attentats de septembre 2001, ni la radicalisation islamiste ni la menace terroriste n’ont diminué en dépit des mesures énergiques prises par la majorité des Etats. Les actes barbares des organisations djihadistes ne cessent d’ensanglanter le monde et la France n’a pas été épargnée.
            Après ces attentats, les autorités gouvernementales ont accru les moyens accordés à la lutte antiterroriste et ont mis en place, avec plus ou moins de réussite, un dispositif destiné à lutter contre la radicalisation. Mais force est de constater que rien de concret n’a été fait pour lutter contre l’idéologie néfaste qui fonde la dynamique terroriste actuelle : le wahhabisme.
            Surtout, les Etats-Unis n’ont aucunement intérêt à ce que Riyad soit déstabilisé. Ils ont d’ailleurs une responsabilité essentielle dans la situation chaotique à laquelle est parvenue la région avec le concept géopolitique de « Grand Moyen-Orient » cher aux néoconservateurs de l’administration de George W. Bush. Ce plan - dont le point d’orgue a été l’invasion de l’Irak en 2003 - avait pour objectif de transformer le paysage politique de la région en redessinant largement les frontières, afin d’y apporter « la paix, la stabilité et la démocratie », mais surtout d’assurer la protection des intérêts politiques et économiques américains et la sécurité d’Israël vis-à-vis de ses voisins arabes. Il n’a contribué qu’à déstabiliser durablement la région.
 

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