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Tempête sous un crâne







30 Mars 2015

Si on sait qu’Internet entraîne des modifications cérébrales et cognitives chez l’homme, le magazine Psychologies a voulu en savoir plus. Autrement dit, savoir si Internet nous rend neuneu. Pour ce faire, ils ont interrogé spécialistes et experts.


Tempête sous un crâne
Tout est parti d’un article du journaliste et écrivain américain, Nicholas Carr sur le site de The Atlantic : « Is Google making us stupid ? » Plus largement, il est prouvé, et de plus en plus, que l’usage intensif d’Internet engendre des difficultés à se concentrer, des problèmes pour lire, ou encore des difficultés d’assimilation. Sans vouloir être réac, catastrophiste, déclinologue ou alarmiste, le sujet est suffisamment important pour en débattre une nouvelle fois.
 
Un exemple : pour certains, tenir une conversation sans zapper ou se désengager d’un « échange relationnel comme on se débranche d'une machine », dit le professeur Olivier Houdé, directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant du CNRS-La Sorbonne, devient compliqué. « Se poser » tout simplement, évoque la journaliste de psychologies.com est parfois hardu. En plus de tout un panel d’éléments qui agissent sur nous – stress, fatigue, éparpillement, surmenage – Internet serait, disent de plus en plus de chercheurs, à l’origine de chambardements, de modifications du psychisme.
 
« En l’espace d’un battement de cil à l’échelle de l’histoire du monde, nous nous sommes tous assis des heures devant un écran diffusant des images, des sons et des textes mélangés ensemble, sans réaliser (…) l’effort inédit que notre cerveau doit produire en permanence pour réévaluer, réorganiser ce qui lui apparaît à l’écran. » Voilà la constatation du journaliste Nicholas Carr. Une constatation en forme d’évidence, reprise par le site de Psychologies. Oui, mais. Il ne faut pas oublier : le cerveau fait preuve d’une extraordinaire capacité d’adaptation. Elle a même un nom, c’est la « plasticité cérébrale ». Elle est redoutable.
 
Malgré tout, « Nous sous-estimons le temps que nous passons sur Internet, nous sous-estimons la gymnastique cérébrale que cela demande. Et pour ma part, je suis persuadé que je ne pense pas de la même façon qu’avant… » dit encore Nicholas Carr. Interrogé par Psychologies, le cogniticien Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive et ergonomique à l’université Paris-VIII, directeur scientifique du Laboratoire des usages en technologies d’information numérique (Lutin), estime lui, que « Tout dans la lecture – l’espace entre les mots, la forme des caractères, etc. – a demandé un effort progressif d’adaptation à notre cerveau. Le passage à l’écran semble naturel, mais il n’en est rien. »
 
En effet, pour le cerveau, traiter une information visuelle provenant d’un écran demande 30% de temps supplémentaire. En cause : « devant un écran, l’œil s’affole. Les signes sont beaucoup plus nombreux en termes de formes et de couleurs, ils surgissent, vous captent, sont furtifs et vous demandent une attention accrue », explique encore Thierry Baccino. De là à dire que la mémoire est saturée et en surchauffe, il n’y a qu’un pas.

Les informations visuelles qui arrivent au cerveau, de l’ordre de 200 000 par seconde, se bousculent de façon erratique, à un rythme sans fluidité car hiérarchie et attention ne sont pas les mêmes entre pubs, liens et informations qui contribuent à nous promener et parfois à nous perdre. Internet nous pousse à être multitâches, à passer d’une action à l’autre sans réelle logique. Une gymnastique inédite pour notre cerveau, qu’Internet induit. D’où toutes ces interrogations. Malgré tout, il faut raison garder.
 
Notre esprit critique est conservé. François Taddei, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), se veut rassurant : « Il ne faut pas avoir peur. Notre esprit possède l’immense avantage de disposer de capacités critiques. Il sait trier. » C’est en effet sans compter la plasticité extraordinaire de notre cerveau, sa capacité à s’adapter : « Si notre cerveau change, alors il change également pour le meilleur, car, avec ses chemins multiples, avec l’infinité des sources disponibles, le web nous entraîne à développer notre esprit critique, notre capacité à développer notre point de vue et à le confronter aux autres. » L’opposé d’un instrument qui rendrait neuneu. Ah, ouf.