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Comment les prix Nobel Lefkowitz et Kobilka ont ouvert de nouvelles perspectives pharmaceutiques







14 Mai 2013

En octobre dernier se déroulaient les cérémonies des prix Nobels de médecine, physique, chimie, littérature, de la paix et de l'économie. Parmi les lauréats, les chercheurs Lefkowitz et Kobilka ont particulièrement attiré l'attention des observateurs, car cette année, leur découverte aurait très bien pu être récompensée dans la catégorie médecine, alors qu’ils ont reçu le prix Nobel de chimie. En effet, leurs recherches vont avoir un impact significatif dans le monde de la médecine, et plus particulièrement dans celui de la pharmacologie.


Les chercheurs Lefkowitz et Kobilka, récompensés par le prix Nobel de chimie

En octobre dernier, les chercheurs Lefkowitz et Kobilka étaient récompensés pour leurs recherches sur les récepteurs cellulaires. Une récompense de prestige, décernée à leur grande surprise. Contacté par téléphone aux alentours de minuit, pour être informé qu’il avait remporté le prix Nobel de chimie, M. Lefkowitz déclarait à la presse dès le lendemain matin, qu’il était profondément endormi au moment de l’appel, et qu’il ne s’attendait absolument pas à une telle récompense. Rappelons que M. Lefkowitz travaille à l’université de Duke en Caroline du Nord, et à l'Institut médical Howard Hughes de Chevy Chase, en tant que professeur de biochimie et de médecine. Ses travaux passés avaient déjà permis de contribuer au développement de certains antidépresseurs et de bêta-bloquants. M.Kobilka quant à lui, fut aussi surpris que son confrère, déclarant qu'il n'avait pas l'habitude d'une telle attention. Ce professeur de physiologie cellulaire et moléculaire, et professeur de médecine à l'université de Stanford, a intégré l'équipe de Lefkowitz, bien après que ce dernier ait commencé ses recherches sur les récepteurs. À l'époque, en 1968, Lefkowitz cherchait encore à localiser les récepteurs dans les cellules, et les deux hommes se sont rencontrés alors que Kobilka n’était encore que post-doctorant. C'est alors que Kobilka a insufflé le défi d'isoler le gène codant le récepteur béta-adrénergique, à partir du génome humain. Ce qui a abouti à la découverte d’une famille entière de GPCR.
Comment les prix Nobel Lefkowitz et Kobilka ont ouvert de nouvelles perspectives pharmaceutiques

Lefkowitz et Kobilka, découvre une famille entière de GPCR

Les deux scientifiques travaillent ensemble depuis de nombreuses années sur les récepteurs cellulaires. Leurs travaux en commun, initiés par Lefkowitz, portent essentiellement sur les récepteurs couplés aux protéines G (GPCR), et leur découverte si elle n’est pas fondamentale, représente en tout cas, une avancée considérable pour le monde médical. Si la spécificité de certains récepteurs est déjà connue, et utilisée pour le développement de nombreux médicaments, on ne savait pas comment les cellules pouvaient sentir leur environnement, et adapter leurs récepteurs en conséquence. C’est ce que Lefkowitz et Kobilka ont découvert en photographiant un récepteur béta-adrénergique, au moment précis où il s’active pour recevoir et transmettre un signal. Ainsi, ils ont pu identifier une famille entière de GPCR, et déterminer le mode de fonctionnement de la majorité des récepteurs. Même si la communauté scientifique savait depuis plusieurs années déjà, quels signaux délivrer aux récepteurs, pour obtenir des réactions en chaine, elle ne maitrisait pas encore toutes les réactions qui résultent des signaux émis. D’où les effets secondaires des médicaments, qui restent le lot de nombreux traitements. Ainsi, la découverte de Lefkowitz et Kobilka permettra à terme de réduire, voire d'éliminer ces effets secondaires, et de mieux cibler les cellules nécessitant la réception d’une hormone ou d’un autre type de signal déclenchant une réaction.

La découverte des deux chercheurs

Pour mieux comprendre cette découverte, et comment une substance se couple à un récepteur de manière sélective, nombreux sont ceux qui utilisent l’image de la clé et de la serrure, à savoir que la serrure représente le récepteur, et la clé, une substance qui active ce dernier. Mais selon Stefano Murillo, de l'Institut Cochin (CNRS, Paris-Descarte, Inserm), l'explication par l'image de la clé et de la serrure est trop réductrice, car cela revient à dire que les récepteurs sont des structures fixes, ce qui est loin d’être le cas. D’autre part, les récepteurs se déplacent dans l‘organisme et changent de structure et de mode de fonctionnement selon leur environnement. Stefano Murillo, qui dirige une équipe de chercheurs spécialisés dans les GPCR, préfère ainsi prendre l’exemple d'un jeu de ballon, où les joueurs (les récepteurs) ouvriraient et fermeraient leurs bras de manière aléatoire. Les joueurs ayant les bras ouverts sortent du jeu lorsqu’ils reçoivent la balle (une substance ou un signal), et au final, il ne reste plus de joueurs, et ces deniers sont remplacés par d'autres. En d’autres termes, la découverte de Lefkowitz et Kobilka prend en compte une chaine mouvante modifiée à chaque réception de signaux, et qui de plus, réagit différemment selon l'environnement dans lequel se trouvent les maillons de cette chaine. Au niveau de la prise de médicament, cela peut se traduire par des effets secondaires qui ne sont pas toujours les mêmes d’une personne à l’autre.

Opportunités thérapeutiques

À ce jour, seuls 60 % des ligands (substance/molécule) faisant réagir les GPCR, ont été découvert sur la centaine de variétés de GPCR dénombrée. Ce qui a déjà permis de créer de nombreux traitements médicamenteux ciblant le mécanisme d’interaction de certains récepteurs, mais la plupart des variétés de GPCR connues, concerne essentiellement les cellules olfactives. La découverte de Lefkowitz et Kobilka permettra donc d’étendre les connaissances des GPCR et des ligands, admettant ainsi la création de médicaments encore plus efficaces, ciblant de nombreuses autres catégories de cellules. L’industrie pharmaceutique se focalise déjà sur l’élaboration de traitements contre l’obésité, contre certaines maladies psychiatriques, et neurodégénératives, et l’on peut déjà entrevoir les opportunités thérapeutiques, sur lesquelles déboucheront les recherches en cours. Au-delà, de la création de signaux interdisant la production de graisse, dans le cas de l’obésité, ou du blocage des récepteurs entrainant une dégénérescence neuronale, le cancer pourrait bien être traité via le mécanisme d’interaction entre cellules. En identifiant d’abord celles qui sont malades, et en leur interdisant de se reproduire afin d’éviter le développement des tumeurs. Les applications de la découverte de Lefkowitz et Kobilka sont donc nombreuses, et risquent fort bien de modifier les approches thérapeutiques.