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« Montres connectées de luxe: une bonne stratégie pour Tag Heuer? »

Rencontre avec Jean-Claude Biver, CEO de Tag Heuer







15 Janvier 2016

Alors qu’Apple fait fureur avec l’iWatch, Tag Heuer lance sa montre connectée. La marque d’horlogerie de luxe aurait-elle cédé aux sirènes de la consommation de masse au risque de voir se détourner sa clientèle hyper exigeante? Au contraire, est-ce une stratégie ambitieuse et visionnaire face à un secteur du luxe en mutation? Réponses avec Jean-Claude Biver, à la tête de Tag Heuer, qui nous a accordé un entretien exclusif.


Tag Heuer a lancé en novembre dernier sa première montre connectée. Qu'est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans le digital ? Etait-ce un choix stratégique ou une contrainte marketing ?

Compte tenu du niveau de prix de notre gamme de "luxe accessible", soit un prix d'accès à la collection aux alentours de 1 200 euros et un prix moyen de la gamme proche des 3 000 euros, la marque se sentait bien évidemment menacée par la montre connectée classique dont les prix varient actuellement entre 300 et 1500 euros.

C'est cette analyse qui a dicté notre choix, à la fois de protéger notre prix d'entrée en proposant une montre connectée à 1 400 euros, pour pouvoir ensuite ouvrir la marque à un nouveau marché. C’est en partant de cet état de fait que Tag Heuer a donc développé une politique à la fois « défensive » (protéger notre prix d'accès de l'émergence de la montre connectée) et « offensive » (acquérir une nouvelle clientèle qui sinon n'aurait jamais acheté une montre de notre marque). L’idée étant de se renouveler tout en conservant l’ADN Luxe propre à la marque.
 

Vous avez investi plus de 10 millions de francs suisses pour lancer la Tag Heuer Connected... Le pari de la connectivité est-il compatible avec le savoir-faire traditionnel suisse?

Oui, le pari de la connectivité est tout à fait compatible avec une partie du savoir-faire suisse. Cette montre connectée en est d’ailleurs la meilleure preuve. C’est cette compatibilité qui s'exprime grâce au design, à l'esthétique général de l'objet, aux matériaux utilisés ainsi qu’à sa pérennité ou "éternité".

En revanche, la technologie des microprocesseurs et de l'operating system (IOS ou Androïd) ne peuvent pour le moment être suisse. Nous utilisons  donc pour l’instant des technologies d’origine californienne.  
 

Vous vous positionnez ainsi face à Apple et consorts. Comment cette digitalisation de la marque est-elle accueillie par les puristes, les collectionneurs, et les afficionados de la marque ?

Les puristes ou les « afficionados » ont plutôt bien, même positivement, accueilli la montre connectée de Tag Heuer. Et ce d'autant plus que c’est un objet qui possède toutes les caractéristiques dites d’éternité de la montre mécanique traditionnelle.

Il est pour ainsi dire surprenant de constater que l’on retrouve une clientèle plutôt traditionnelle et d’âge mûr parmi les premiers clients de cette montre connectée.
 

La montre Tag Heuer Connected ne possède pas (encore) le label « Swiss Watch ». Cela peut-il être un frein pour son développement comme pour l'image de marque ?

Non, nous ne pensons absolument pas que le fait de ne pas avoir le label Swiss Made soit un handicap pour une montre connectée. D'ailleurs, personne n'attend d'une montre connectée qu'elle soit automatiquement Suisse. Pour l’anecdote, c’est  ce qui m’a valu de dire un jour que pour une montre connectée, le "Intel Inside" vaut bien le Swiss Made. Ce qui n’est évidemment pas le cas pour les montres traditionnelles…
 

Allez-vous poursuivre l'innovation en matière d'horlogerie traditionnelle ? Celle-ci va-t-elle encore dans le sens de l'histoire ?

La Maison projette bien entendu de poursuivre ses collections et ses développements dans la montre traditionnelle. J’espère d’ailleurs être en mesure d’annoncer des innovations extrêmement importantes dans le domaine de la montre traditionnelle.
 

Ce renouveau de la marque influence-t-il votre politique de sponsoring ou le choix de vos égéries ?

Ce choix stratégique n’influence pas directement la politique de sponsoring ou le choix des égéries qui représentent les produits Tag Heuer. En revanche, il est clair que cette montre connectée offre de nouvelles possibilités intéressantes en la matière.

Vous êtes à la tête d'une marque des plus prestigieuses au sein d'un groupe leader dans l'univers du Luxe. Comment voyez-vous l'avenir de l'horlogerie de Luxe, et plus largement, du secteur ?

L'avenir de l'Horlogerie de Luxe, c'est-à-dire les marques dont le prix public moyen est supérieur à 3 500 euros, continue d’être fleurissant.  Ses produits représentent d’ailleurs plus de 50% des exportations suisses. Un avenir qui s’annonce plutôt prospère, d'autant plus que la montre connectée peut constituer un tremplin vers l’acquisition à postériori d’une montre « éternelle ». La montre connectée peut ainsi jouer le rôle d’une promotion efficace pour la montre traditionnelle.
En cela, ces deux technologies sont pour les marques d’Horlogerie de Luxe davantage complémentaires que concurrentielles.
 

Vous avez été nommé à la tête de Tag Heuer il y a un peu plus de deux ans afin de redynamiser la marque. Pari gagné, selon vous ?

Jusqu’à présent oui puisque nous sommes largement en avance sur le plan de marche espéré. Mais bien évidemment, rien n’est encore gagné. Poursuivre les objectifs fixés nécessite un travail continu et l’enjeu est maintenant de se consolider en confirmant notre position.

 

Si vous deviez définir l'identité de la marque en trois mots seulement, quels seraient-ils ?

Swiss Avant Garde depuis 1860. C'est ce qu’est Tag Heuer depuis 1860 et c'est ce que nous voulons être en 2016 également.

Jean-Claude Biver est CEO de TAG Heuer, Président de la Division Montres au sein du groupe Groupe LVMH, et Chairman de Hublot