NLTO
/ Magazine d'actualité politique, économique et internationale /




Homo Bionicus : le libre arbitre en danger ?







8 Octobre 2013

Comment faisait-on avant ? Avant l’arrivée des téléphones mobiles, par exemple ? Comment les gens communiquaient-ils entre eux ? Une question légitime lorsqu’on constate avec quelle fulgurance cet objet a trouvé son utilité dans la vie quotidienne. Aurons-nous les mêmes interrogations dans quelques années à propos de voitures auto-guidées, des lunettes multi-services, ou même des bons vieux livres papier devenus (peut-être) totalement virtuels ?


L’objet donne-t-il du sens à nos vies et régit-il nos comportements ? Il y a en effet de quoi être dubitatif lorsqu’on voit, par exemple, l’effervescence médiatique autour de l’annonce d’une montre créée par Apple. Une montre est-elle utile pour voir l’heure ou doit-elle devenir un objet connecté en permanence à la terre entière ?

Les néo-objets "domesticables"

Crédit photo : http://www.freedigitalphotos.net
Crédit photo : http://www.freedigitalphotos.net
Si oui, il s'agirait d'un des nombreux « Néo-objets », dont Jean-Louis Fréchin, designer numérique, explicite la philosophie : ils seraient des « objets dont la valeur est déportée sur le service qu’ils offrent ». Ce sont des objets qui « doivent être construits pour nous : ils doivent être domestiqués (...) Il nous faut des objets aimables, c’est-à-dire des objets qu’on puisse aimer, adopter, (…) qu’on puisse annoter, qu’on puisse faire sien », explique-t-il.
 
Pourquoi alors se méfier d’un objet transitionnel tellement en phase avec son époque ? Pour J.L. Fréchin, le numérique, « c'est ce qui va animer la prochaine révolution industrielle, c'est le pétrole du XXIe siècle, c'est une opportunité dont il ne faut pas avoir peur ». Peur, peut-être pas, mais il faut sûrement s’interroger sur l’omniprésence de ces nouveaux outils communicants dont on ne peut plus se passer et qui font tout, parfois trop, pour se rendre « utiles ».

Intrusion et respect de la vie privée

Peut-on se passer du moteur de recherche de Google pour chercher une information, vérifier un mot, trouver une image, en quelques secondes (est-ce devenu si difficile d’ouvrir un dictionnaire) ? En quelques années – Google a été fondé en 1998 - l’emprise de la marque est telle, que, forte de son hégémonie, la société a quadrillé la planète avec sa "Google Car" pour nous "offrir", avec Google map puis Google Street, des images des lieux de vie et d'habitation de chacun. Google nous suit à la trace, nous répertorie, et utilise toutes ces informations à notre corps défendant. Au point que les associations de consommateurs françaises s’inquiètent et demandent à Google – mais aussi à Twitter et à Facebook - plus de transparence dans leur contrats sur la collecte et l’utilisation des données personnelles. Une suspicion que Facebook a cherché à balayer d’un revers de communiqué : « Le respect de la vie privée et la transparence sont des priorités pour Facebook. Nous offrons à nos utilisateurs des outils de contrôle uniques et efficaces. Facebook est en conformité avec toutes les lois européennes applicables en la matière. Nous serions heureux d'expliquer notre politique de respect des données personnelles à UFC-Que Choisir, pour qu'ils puissent mieux comprendre que l'action qu'ils se proposent d'engager est sans fondement. »
 
Pourtant le récent scandale du programme secret Prism dévoilé par le journal britannique The Guardian qui accusait neuf entreprises de fournir au gouvernement américain un « accès direct » à leurs serveurs révèle une tout autre gestion des informations recueillies. Les démentis ou précisions des sociétés mises en cause dont Apple, Google, Facebook, ou Verizon, ont fait resurgir le spectre de « Big brother » et relancé au passage aux Etats-Unis les ventes de « 1984 », le célèbre livre de science-fiction de George Orwell, lequel imaginait déjà en 1949 une société totalitaire sous surveillance.

Autonomisation du consommateur

De quoi sommes-nous capables face à la technologie ? Quel est notre libre-arbitre ? Faut-il résister ou encore donner à l’objet numérique son rôle premier d’outil stricto sensu ? L'exemple de "l'objet télévision" est intéressant car la façon de la regarder a, elle aussi, beaucoup changé. La généralisation des « box » nous permet de décaler le temps passé devant l’écran, voire même, hérésie suprême, de supprimer l’envahissante publicité. Désormais les programmes télé sont visionnables sur ordinateur, en replay et à l’autre bout du monde. Le téléspectateur, enfin autonome, gère désormais mieux ses choix et son temps. Un nouveau mode de consommation qui désoriente quelque peu les diffuseurs et les créateurs de programmes, lesquels n’ont trouvé à ce jour d’autre solution que de multiplier le nombre de chaînes pour diversifier l’offre et tenter de répondre à ce nouveau zapping radical.

Et le livre, dans tout cela, sera-t-il le dernier refuge de l’homme « honnête », libre et indépendant ? Vecteur de plaisir, de connaissance et de réflexion, il a permis à l'homme, à travers les siècles, de se construire intellectuellement. Aujourd'hui il est confronté aux nouvelles technologies et aux nouveaux usages et s’interroge naturellement sur sa nature et son utilisation. Va-t-on désormais lire des livres, grâce aux tablettes numériques, parce qu’ils sont prévus en conséquence pour être courts et augmentés de vidéos, et que l’on peut varier la taille des caractères pour en améliorer le confort de lecture ?

Le choix d’un livre se fait d’abord sur son sujet et sur la qualité d’écriture de son auteur. L’objet numérique transforme, il est vrai, les habitudes de lecture mais tout comme Jean-Louis Fréchin, on peut se demander si "Les objets d’information doivent mesurer et exprimer une quantité ou exprimer et produire une qualité ". Or l’intervention des éditeurs reste le point commun entre les livres « papier » et les ouvrages que l’on va pouvoir télécharger sur les liseuses ou les tablettes numériques. La transition se fait d’ailleurs en douceur et la technologie se met au service du livre traditionnel. Arnaud Nourry, PDG d'Hachette Livre, indiquait déjà en 2010, dans une tribune au Monde que "chez Hachette Livre, (nous nous efforçons) de rechercher les moyens de créer un modèle économique numérique durable, en particulier en France." Ce qui a amené le patron d'Hachette à déclarer que, révolution numérique ou pas, « les exigences du métier d’éditeur restent finalement toujours les mêmes : il s’agit de garantir et promouvoir une offre culturelle diversifiée et de qualité accessible au plus grand nombre ».

Ainsi avons nous appris récemment que 65 000 livres épuisés seront bientôt de nouveau imprimables pour tout un chacun. En association avec la Bibliothèque nationale de France (BnF), l’éditeur propose en effet un nouveau service permettant de réimprimer à l'identique et à l'unité des trésors du patrimoine littéraire et historique français du XVème au XIXème siècles puisés parmi les 200 000 références accessibles sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

Les multinationales de la distribution comme Amazon, leader dans ce domaine, auront beau déployer leurs infrastructures commerciales à travers le monde, le choix d’un livre restera, espérons-le, celui du lecteur et non pas celui d'un algorithme informatique. Car seul le lecteur peut aujourd'hui connecter ses goûts, sa curiosité et son intelligence.