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Faut-il repenser la politique française ?







1 Mars 2022

A un mois des élections, candidats, médias, citoyens sont en quête de changement, de renouveau de notre politique. Mais les sujets évoqués sont-ils ceux devant évoluer ? Parrainage, justice, absence de programme ; Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du Parti Socialiste nous éclaire en prenant appui sur son dernier ouvrage « Hier, aujourd’hui et demain » paru chez VA Éditions.


Des grands candidats à l’élections n’ont toujours pas suffisamment de parrainages pour participer à la présidentielle 2022. Certains proposent alors de réformer le système des parrainages. Qu’en pensez-vous ? Les conséquences actuelles de ce système remettent-elles en cause la démocratie ?

Les filtres ont toujours existé dans la candidature : du suffrage censitaire au parrainage. La République a toujours voulu se mettre à l'abri du « Pourquoi pas moi ? » ou de candidatures farfelues voire dangereuses. Quant à la publication des noms, il répond à une demande de transparence et d'éthique évitant le « si tu signes il n'y aura pas de candidats contre toi ».
Enfin, ce ne sont pas les sondages qui qualifient un candidat à la présidentielle mais les parrainages.
 
Cela étant posé, je suis favorable à ce que Marine le Pen ou Eric Zemmour participent au débat national. Non que je soutienne leurs positions mais ils expriment une part des opinions des Français.   
 
Si les candidatures sont réservées au cercle de la raison, le populisme s'exprimera d'une autre façon. Et la décomposition politique est assez grande comme cela. Il vaut mieux que ces courants ne soient battus démocratiquement qu’éliminés administrativement.
 
Pour autant, ce n'est pas les 500 signatures qui sont un problème sur les 40 000 possibles mais le fait que les élu.e.s savent que la radicalité des propos et des positions choquent une partie des Français. 
 
Le premier problème est là dans notre démocratie médiatique. Vous n'avez aucune chance d'émerger dans les médias si vous ne cassez pas de la vaisselle, si vous ne provoquez pas une polémique. Et cette qualification médiatisée par la violence symbolique provoque un rejet. Ceci se réfracte dans les parrainages. 
 
Le second problème est la division et la fragmentation de notre vie politique. C'est ce que j'appelle la décomposition qui débouche, d'une part sur des candidat.e.s mal élu.e.s  ou à majorité relative, de l'autre, complique l'obtention du sésame présidentiable. 
 
S'il n'y avait pas de divisions entre Marine le Pen et Eric Zemmour, le courant nationaliste d'exclusion aurait son candidat sans problème. S'il n'y avait pas eu la séparation entre Mélenchon et Roussel, nous aurions facilement un candidat de la radicalité de Gauche. 
 
Les candidats peinent donc de ne pouvoir avoir fait l'union. Et on peut difficilement prétendre rassembler les Français quand on ne rassemble pas ceux qui pensent comme vous.
 

Les procès et accusations se multiplient à l’égard des personnes politiques. Comment l’expliquer ? Mis à part les sanctions juridiques, que pouvons-nous faire pour faire cesser l’irrespect de la loi par ceux qui nous gouvernent ?

En quarante ans, la vie politique s'est assainie. D'une part, la justice n'est plus entravée comme par le passé. D'autre part, les affaires se réduisent dans le fond comme dans la forme.
 
Maintenant personne n'est au-dessus des lois. Et c'est une grande avancée démocratique. Il restera à mon avis toujours une suspicion, tant que le conseil supérieur de la magistrature aura un lien de subordination avec le politique. Reste à savoir comment la société « contrôle » ou « régule » un pouvoir devenu ainsi autonome. 
 
C'est le soupçon du politique vis-à-vis de la magistrature. Elle serait politique non qu'elle serait aux ordres d'un parti mais elle serait un parti déclenchant des affaires pour asseoir son pouvoir contre le politique. 
 
Cette lecture largement déployée par les politiques est fausse ou faussée.  
 
Car ce ne sont pas les juges qui provoquent les affaires. Ils jugent généralement en fonction du droit. Même s'ils peuvent être plus ou moins sévères au regard du trouble à l'ordre public que représente telle ou telle infraction.
 
Non, dans 99 % des cas ce sont les politiques qui déclenchent les affaires en les rendant publics via des médias. Et c'est pour cela qu'elles éclatent dans les périodes électorales pour entraver, voire éliminer un concurrent, autre problème de nos démocraties médiatiques. L'effet est toujours plus important que le fait. Une « révélation » est déjà une condamnation car dans le tribunal médiatique, il n'y a pas d'avocat de la défense, ni de droit, ni de jurisprudence. 
 
Et pourquoi donc ces affaires sont récidivantes ? Car c'est l'effet pervers de la dépolitisation. Moins le débat est politique, plus le débat est sondagier et peopolisé et plus les affaires sont instrumentalisées pour médiatiquement être disqualifiées. 
 
Donc il s'agit moins de renforcer le droit qui est aujourd'hui satisfaisant mais de rétablir le droit au débat politique. Au fond, mon livre « Hier, aujourd'hui et demain » vise à rétablir la grande saga du politique, ses lettres de noblesse et ses servitudes. C'est ce qui manque aujourd'hui.  

Le premier tour des élections présidentielles a lieu dans un mois et pourtant les programmes des candidats n’ont toujours pas été entièrement dévoilés ou motivés. Pensez-vous que cette stratégie, consistant à agir tard, soit justifiée et saine ?

Là encore, il s'agit de la rançon de notre démocratie médiatique. Un débat sur le ralliement d'une personnalité, sur un dérapage verbal, provoquera plus d'intérêt dans l'opinion publique et médiatique qu'un débat sur le déficit du commerce extérieur de la France pourtant plus préoccupant.
 
Les candidats savent tous que leur programme, c'est un « one shot » médiatique. Il faut le présenter tardivement en évitant d'être enfermé dedans, d'autant que les médias sont intraitables sur la forme. Il suffit de se souvenir des polémiques sur Christiane Taubira.
 
Le choix devient de plus en plus sur une personne que sur un projet. La capacité à ne pas faire d'erreurs ou de les surmonter et surtout la capacité à imposer un récit politique est devenue essentielle. Ce fut, par exemple, essentiel en 1965 entre François Mitterrand et le Général de Gaulle ou en 81 entre Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, voire encore en 2002 où Lionel Jospin avait modernisé et redressé la France mais fut éliminé par la division et un projet de continuité avec son quinquennat. Pour faire vite : la musique a plus d'importance que les paroles. 
 
Si vous voulez réduire les risques. Il faut partir le plus tard possible. C'est ce que fait le président de la République car il sait que tant qu'il n'est pas candidat, c'est tout le monde contre tout le monde. Mais le jour où il le sera ce sera tout le monde contre lui. En attendant, il incarne la fonction, pendant que les autres se déchirent et donc s'abîment.