NLTO
/ Magazine d'actualité politique, économique et internationale /




Jean-Christophe Cambadélis : façonner la gauche







8 Février 2022

Connaissez-vous réellement « Camba » ? De sa plus tendre enfance à son retrait (définitif ?) du PS en passant par la présidence du syndicat étudiant de l’UNEF, Jean-Christophe Cambadélis nous raconte aujourd’hui son histoire et celle de la gauche dans « Hier, aujourd’hui et demain » (VA Éditions). A l’aune des élections présidentielles 2022, découvrez les rouages de la gauche et cinquante ans d’anecdotes politiques chuchotées par l’ancien premier secrétaire du Parti Socialiste.

Chapitre X
Une nouvelle gauche contre la nouvelle droite
10 janvier 1992

Extrait pages 127-128



"« Je ne vous félicite pas. » François Mitterrand n’est pas content en ce début juillet 1989. Depuis sa voiture présidentielle, il siffle littéralement d’une colère froide au téléphone. « Je suis avec Jean-Louis Bianco, il est aussi déçu que moi. » Faute impardonnable à ses yeux, j’ai signé en tant que parlementaire, et nous sommes fort peu nombreux, l’Appel contre le Sommet des riches organisé le 14 juillet 1989 à l’occasion des célébrations du Bicentenaire de la Révolution de 1789. Je m’explique… le peuple… les sans-culottes… les nouveaux pauvres… les pays en voie de développement… tout cela est une erreur, une mauvaise image pour le début du nouveau septennat. Mitterrand me coupe : « Nous donnons au monde à voir la Révolution française et vous vous en offusquez avec un ramassis qui vit dans le confort de ses rêves et ne pense pas au rayonnement de la France. » Et il raccroche.
 
Nos relations vont d’autant plus se refroidir que j’aggrave mon cas lors de la succession de Lionel Jospin au poste de Premier secrétaire du PS. Devenu ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, Jospin doit être remplacé à la tête du parti. À Solférino, dans la cour qui deviendra la cour Bérégovoy, nous sommes nombreux à ne pas voir d’un bon œil l’arrivée à ce poste de Laurent Fabius, soutenu par François Mitterrand. Jean-Marie Le Guen interpelle Pierre Mauroy : « Et pourquoi tu n’y vas pas, toi ? ». Pour une fois, je suis d’accord avec le député du 13e arrondissement de Paris. Mauroy éclate d’un grand rire falstaffien qui résonne dans la cour pavée puis se détourne de nous. Mais, après quelques pas, il revient vers nous. Écartant les bras, souriant, agitant ses longues et fines mains, il nous glisse : « Vous êtes nombreux à penser ça ? » Nous lui répondons comme un seul homme : « Très nombreux ! ». Un journaliste de l’AFP, présent, nous interroge sur le sens de cet aparté. Nous répondons sans avoir l’air d’y toucher : « Il est candidat. » Ceci devient aussitôt une dépêche « urgente » et Laurent Fabius voit se dresser devant lui la candidature incontestable du maire de Lille. Elle provoque immédiatement celle de Louis Mermaz, soutenu par Pierre Joxe, pour tenter de rassembler ce que l’on appelle le courant AB, c’est-à-dire la majorité du PS. C’est elle qui doit désigner le candidat au suffrage du comité directeur responsable, à l’époque, du choix du Premier secrétaire.
 
Le courant AB, auquel j’appartiens, se réunit au Sénat pour délibérer sur cette importante question. Tous les hiérarques du parti sont présents. Paul Quilés a fait ses comptes, Fabius, soutenu par Jean Poperen, va l’emporter. Au cours de la séance, Mauroy, Mermaz, Fabius présentent leur projet. Les intervenants sont nombreux : Pierre Bérégovoy, Henri Emmanuelli, Pierre Joxe, Louis Mexandeau. Les arguments sont de pure forme puisqu’il s’agit de s’inscrire derrière le Président de la République et le Premier ministre, Michel Rocard. C’est précisément l’argument que j’emploie dans mon intervention après celle des « éléphants » du parti : « Lorsqu’on a Michel Rocard comme Premier ministre, on ne met pas Laurent Fabius à la tête du parti. » Sans avoir rien demandé à personne, je tente à ce moment-là une manœuvre d’assemblée générale étudiante en lançant : « Louis Mermaz pourrait tout à la fois nous rassembler, marquer la continuité avec François Mitterrand et être un contrepoids habile à Michel Rocard. » Consternation et interrogations dans la salle. Paul Quilès prend la parole sans tarder. Il dénonce la manœuvre visant à empêcher Laurent Fabius d’être majoritaire. Louis Mermaz demande une suspension de séance. Conciliabules. Mauroy, qui n’a pas pris ombrage de ma proposition, loin de là, car il a tout compris de ma partie de billard à trois bandes, me confie : « C’est osé, mais ça peut marcher. » De fait, après une brève discussion avec Laurent Fabius, qui refuse de le soutenir, Louis Mermaz demande la parole pour annoncer qu’il se rallie à Pierre Mauroy. Jean Poperen explose : « C’est un coup des trotskystes », déclare-t-il à la presse en sortant de la réunion. De leur côté, Lionel Jospin et Claude Allègre se félicitent discrètement de l’évolution de la situation. Ce coup d’éclat va provoquer, malgré tout, de grandes inimitiés à mon égard, sans faire pour autant de moi un jospiniste pur sucre. Je deviens conseiller du nouveau Premier secrétaire pour les questions sociales. Je démissionne quelques mois plus tard lorsque le ministre du travail, Jean-Pierre Soisson, propose la remise en cause du temps d’indemnisation des chômeurs. Pierre Mauroy ne m’en tiendra pas rigueur et me dira :   « Tu as enfin découvert ce à quoi sert un conseiller du Premier secrétaire. »."

Extrait de "Hier, aujourd'hui et demain " de Jean-Christophe Cambadélis, VA Éditions.