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L’acte II de l’exception culturelle : problématiques et perspectives







16 Mai 2013

Lundi 13 mai 2013, Pierre Lescure, missionné en août 2012 par le Président de la République François Hollande, et par le ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti, a remis le rapport de mission « Acte II de l’exception culturelle. Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique »(1). Ce rapport, composé de 80 propositions, évoque les problématiques qu’engendre l’ère numérique pour les biens culturels et offre des éléments de réponse dans la lutte contre les téléchargements illégaux, mais aussi pour le financement des acteurs culturels.


Le leitmotiv de l’exception culturelle

L’acte II de l’exception culturelle : problématiques et perspectives
Fer de lance de la France, puis de la francophonie, notamment à travers l’Organisation Internationale de la Francophonie, la notion d’exception culturelle est évoquée dès les années 1980. Ce concept repose sur l’idée que la culture ne saurait « être intégralement soumise aux règles du droit commun et de l’économie de marché »(2), puisqu’elle n’est pas un bien commercial comme les autres. Plus tard, en 2005, c’est la notion de diversité culturelle qui est adoptée avec le vote d’une Convention à la 33e conférence générale de l’UNESCO à Paris. Seuls les États-Unis et Israël n’ont pas ratifié la Convention. Ainsi en France, les biens culturels sont fréquemment défendus face à la globalisation des échanges. Pour autant, le tournant numérique n’a pas été convenablement apprécié, puisque la dernière décennie a davantage été consacrée au déploiement de mesures coercitives, dont l’efficacité s’est avérée limitée dans l’espace interactif d’Internet. L’erreur a donc été de fonder l’action publique sur le principe classique de l’État régulateur, en oubliant que chaque individu était désormais relié au reste du monde, depuis chez lui, traversant ainsi constamment les frontières et les contrôles physiques.

« Mettre à contribution les fabricants et importateurs d’appareils connectés »

La mesure 48 du rapport, sous le titre « Instaurer une taxe sur les appareils connectés permettant de stocker ou de lire des contenus culturels », promeut l’idée selon laquelle il y a une nécessité de faire participer les fabricants et les importateurs d’appareils connectés. Cette annonce apparait comme une réponse à l’échec du financement durable d’Internet aux fournisseurs de médias.
 
Le postulat est assez simple. Les opérateurs de télécommunications sont déjà fortement mis à contribution dans le financement des produits culturels. Comment alors trouver une source de revenus sans trop peser ni sur le public, ni sur les fabricants ? Analysant la situation à partir de l’idée que le « succès des terminaux connectés et les prix élevés que les consommateurs sont prêts à dépenser pour les acquérir tiennent en partie à la possibilité offerte par ces appareils d’accéder à un nombre quasi infini de contenus culturels riches et divers, pour lesquels, à l’inverse, les usagers sont de moins en moins prêts à payer », le rapport propose alors de taxer les ventes d’appareils connectés pour remédier à cette asymétrie. La taxe serait, précisent-ils, assez faible et n’influerait pas sur le pouvoir d’achat du consommateur puisqu’elle pourrait être prévue autour de 1% du prix d’achat final. Cependant, constituant un rapport définissant les objectifs en termes de politique numérique, il ne présage en rien des décisions finales en la matière. Cette taxe serait ainsi « plus simple à mettre en œuvre, au regard des règles de territorialité et du droit de l’Union européenne, et plus facile à justifier, s’agissant du lien avec les contenus culturels, qu’une taxe sur les moteurs de recherche ou sur la publicité en ligne »(3).

La réponse graduée revue, le CSA consacré

Plusieurs propositions sont liées au sujet du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). L’une des plus remarquables est peut être la requalification du rôle de l’Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet), puisque les propositions 56 et 57 du rapport prévoient un allègement du dispositif de réponse graduée, en supprimant notamment la « sanction de suspension de l’accès Internet » et de transférer la compétence de la mise en œuvre de la réponse graduée, originellement dévolue à Hadopi, au CSA. En outre, la réponse graduée revue et allégée, les sanctions afférentes seraient repensées. Le rapport propose en effet l’évolution d’amendes de 1 500 € à 60 €, pouvant être majorées en cas de récidive.
 
Par ailleurs, les propositions 17 à 19 prévoient divers objectifs ayant pour finalité un renforcement de l’autorité du CSA. Premièrement, elles prévoient d’instaurer un « mécanisme de conventionnement à l’ensemble des services culturels numériques » dans le but de « faire du CSA l’autorité de régulation des médias audiovisuels et culturels, linéaires et non linéaires ». Secondement, le CSA aurait pour mission d’observer les « pratiques culturelles en ligne ». Enfin, dernier point remarquable, le Conseil aurait la possibilité d’« imposer à tous les distributeurs (FAI, constructeur de terminaux connectables, gestionnaires de magasins d’applications, voire plateformes communautaires) une obligation de distribuer les services culturels numériques conventionnés, assortie d’une procédure de règlement des différends ». Le CSA s’imposerait donc comme l’organisme régulateur de la vie des biens culturels sur Internet.
 
À la suite de ces questionnements, il est possible de se poser diverses questions. Tout d’abord, la taxe sur les fabricants et les importateurs d’appareils connectés dont les consommateurs devraient s’acquitter est-elle juste ? L’on peut se demander en effet dans quelle mesure une personne qui ne consomme pas de biens culturels sur son smartphone ou son ordinateur devrait être sujette à cette taxe… De plus, le caractère répressif de la réponse graduée a été fortement surévalué. À ce jour, seulement deux condamnations effectives ont été faites au nom de cette dernière et il semble que la répression, qui ne porte que sur l’usage du Peer-to-Peer, ne concerne qu’une partie des internautes ceux-ci ayant par ailleurs à disposition d’autres moyens comme le téléchargement direct ou le streaming. Dans quelle mesure les nouvelles dispositions arriveront-elles à enrayer une dynamique ancrée dans les mœurs et surtout à faire appliquer les sanctions devant l’ampleur des consommations illégales ?
 
Ainsi, les sanctions, la mise en place d’Hadopi avec notamment le concept de riposte graduée (allant d’une lettre d’avertissement à la coupure de l’accès à Internet) a globalement échoué dans ses objectifs. Toutefois, tout n’est pas à jeter, puisque cela aura au moins permis d’éduquer, d’informer la population sur les risques et sur l’utilisation frauduleuse d’Internet. Nul n’est censé ignorer la loi, et même si parfois il est difficile d’en connaître les subtilités, ce principe vaut aussi pour l’usage d’Internet.


(1) Rapport disponible à l’adresse suivante : http://culturecommunication.gouv.fr/Actualites/A-la-une/Culture-acte-2-75-propositions-sur-les-contenus-culturels-numeriques
(2) Rapport Acte II de l’exception culturelle.
(3) Ibidem.