NLTO
/ Magazine d'actualité politique, économique et internationale /




L’ouverture des commerces le dimanche: une idée qui fait son chemin?







8 Avril 2013

L'ouverture des magasins le dimanche est encore une exception. Soumise à l'autorisation des préfets, elle génère un débat parfois houleux entre les acteurs sociaux et, parfois, les salariés, de plus en plus nombreux à revendiquer davantage de flexibilité. Car en dehors de la question de l'emploi, l'ouverture dominicale constitue un témoin de l'évolution des modes de vie.


Le dimanche, restons couchés ?

© shockfactor - Fotolia.com
© shockfactor - Fotolia.com
D'un point de vue strictement sociétal, le dimanche est le jour de repos par excellence. Mais par "repos" s'entend également, pour le consommateur, le seul jour de la semaine où faire ses courses ne serait pas... le parcours du combattant ! Les autres jours de la semaine, les contraintes étranglent le quotidien. Travail, cours, enfants à aller chercher à l'école, à amener au sport, démarches administratives, médecin... les emplois du temps sont de plus en plus denses. S’ajoute à cela le fait que le paysage familial s’est modifié au fil du temps : familles recomposées, gardes alternées, parents isolés ou mères célibataires ne peuvent pas toujours compter sur la complémentarité. Marie, mère divorcée élevant seule ses deux enfants, souligne ce qui saute à ses yeux comme une évidence : « Je n'ai le temps de respirer que le dimanche. La semaine, je travaille, et en plus, il y a les enfants à aller chercher à l'école, les devoirs, les repas à préparer... Même le samedi, avec leurs activités sportives, je n'ai pas le temps de faire paisiblement mes courses. En plus, je n’ai pas de voiture. Alors je fais au mieux, mais toujours un peu dans le stress! »
 
Quelle que soit leur situation, les Français ont plus de temps le dimanche. Qu'ils soient étudiants, salariés, célibataires ou en famille, c'est aussi le moment de la semaine le plus propice au lèche-vitrine, et surtout aux achats de dernière minute. On sait la passion croissante des Français pour le jardinage et le bricolage. Certaines grandes enseignes, comme Jardiland ou Ikéa, bénéficient de dérogations spéciales les autorisant à ouvrir le dimanche. La loi française autorise aussi les magasins de meuble, par exemple, à ouvrir sans dérogation. Les enseignes de proximité, souvent implantées dans les agglomérations de taille moyenne ou les hypercentres, n'ont en revanche pas encore la possibilité d'ouvrir au-delà de 13h. Une situation qui déroute bien des touristes, dont la France est toujours la première destination mondiale. « Vous êtes un peuple vraiment bizarre », ironise Kathy, touriste américaine en France depuis quelques jours. « Je ne trouve pas de bouteille de vin, mais si je veux, je peux aller m’acheter des clous! »

Le dimanche, un gros manque à gagner !

L’ouverture dominicale des seuls grands magasins parisiens du Boulevard Haussmann pourraient générer plusieurs centaines d’emplois. Car si la France reste la première destination touristique mondiale, avec 81,4 millions de touristes étrangers en 2011, elle se situe seulement à la troisième position sur le plan des recettes avec 38,7 milliards d'euros. Les Etats-Unis et l'Espagne la devancent largement. Face à une clientèle composée de 50% d'étrangers, la fermeture des magasins le dimanche constitue un vrai manque à gagner. Les Galeries Lafayette et le Printemps l’estiment à 10% de CA par an, soit 168 à 240 millions d'euros. A titre de rappel, la loi Mallié autorise la formation de PUCE (Périmètre d'Usage de Consommation Exceptionnelle), dans les lieux historiques ou hautement touristiques. La définition de ces zones relève du choix discrétionnaire des maires des communes. A Paris, Bertrand Delanoë n'a pas jugé opportun, par exemple, d’inclure le Boulevard Haussmann dans un PUCE, contrairement aux Champs-Elysées ou au Carrousel du Louvre. Ce qui n’est pas du goût de certains opposants, qui perçoivent dans l’ouverture des magasins le dimanche une façon peu coûteuse de redynamiser l’emploi.

Le dimanche comme levier économique ?

Chez Castorama, le calcul est vite fait : un dimanche permet de générer trois fois le CA d'un jour de semaine. Au lieu de cela, ce sont les géants américains du e-commerce qui tirent leur épingle du jeu : même Amazon s’est mis à vendre des perceuses, de la plomberie et des sanitaires ! Les petits commerces de proximité font le même constat, puisque les chalands qui trouvent le temps de faire leurs courses en semaine, en général, les font dans la grande ou l’hyperdistribution. « Pour les clients, l’avantage d’un commerce de proximité, c’est précisément d’être ouvert à côté de chez soi… Quand on est chez soi !  Alors s’il est ouvert pendant qu’on n’est pas là, ce n’est plus un commerce de proximité… », s’agace Jean-Charles, gérant d’une supérette.
 
Devant ce diagnostic plein de bon sens, certaines enseignes se disent prêtes à faire des efforts en faveur de   leurs employés pour  les inciter à travailler le dimanche. Les salariés, dans leur immense majorité, ne sont pas contre cette idée. Farida, hôtesse de caisse dans un grand magasin parisien témoigne : «  Je ne demande que ça, moi! Gagner plus en travaillant le dimanche, où est le problème ? On n'arrête pas de dire que les Français ne veulent pas travailler, mais c'est faux! Nous ne demandons que ça, du travail ».  Les salariés sont de plus en plus nombreux à se montrer favorables à une refonte du cadre législatif, en particulier en temps de crise. Et « Surtout dans les magasins de proximité », précise Lucas, employé de longue date dans un magasin de bricolage. « Acheter en ligne, ça va vite, mais où est le plaisir ? Où est le conseil ? Je vends surtout à des bricoleurs du dimanche, moi. Et ils ont envie d'une chose : profiter de leur temps libre pour se renseigner, comparer. Ils sont nombreux, ceux qui restent ‘plantés’ dans un rayon pendant une heure, où à me demander comment s’utilise tel ou tel appareil. »   
 
Les jobs dominicaux dans les magasins de proximité sont également convoités par les étudiants. Leurs emplois du temps souvent irréguliers leur laissent peu de disponibilité en semaine. Pour Jérôme, étudiant en biologie : « Entre les cours, les devoirs, les TP... On n'a pas trop le temps de travailler le soir, en fait. On le fait quand même par nécessité, mais on est nombreux à préférer travailler le dimanche. En plus, allez expliquer à un recruteur que vous cherchez un job avec des horaires à la carte… C’est juste impossible. »  
 
Les maires ont le droit d'accorder des ouvertures exceptionnelles, cinq dimanches par an. Mais ils voient dans l’extension de cette possibilité un bon moyen de dynamiser leurs bassins d’emploi, comme on l'observe souvent en bord de mer. Marcel, un retraité des Bouches-du-Rhône, pour sa part, n’est pas de cet avis: « maintenant, tout le monde veut faire ses courses le dimanche. C’est même devenu un but de sortie dominicale, quand il fait mauvais », constate-t-il, manifestement consterné par les habitudes de vie « des minots » (NDLR : « les jeunes »). « Avant, le dimanche, tout le monde allait à la messe, confesse-t-il. Et après, on se retrouvait tous ensemble, avec l’instituteur et le curé du village. Un verre de pastis, une partie de pétanque, et on était heureux. Ma foi, le soleil a du taper trop fort sur la tête des gens… »
 
Ce débat soulève donc de profonds débats de société. Une seule chose est sûre : d’ici à ce qu’on réconcilie Marcel et Farida, de l’encre coulera encore sous les ponts !