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La représentation proportionnelle altère le régime représentatif







3 Mai 2022

« Introduire une dose de représentation proportionnelle ou la représentation proportionnelle intégrale dans notre système représentatif c’est soit le paralyser soit le détruire. » C’est ce que Jean-Marie Cotteret nous démontre.
Professeur émérite à la Sorbonne, Docteur en droit et en science politique. Jean-Marie Cotteret est un ancien membre de la CNIL et du CSA et a été directeur du Centre de recherche sur l’information et la communication de la Sorbonne. Il vient de rédiger « Où va le parlement ? De la souveraineté nationale à la souveraineté numérique » (VA Éditions) dans lequel il explique les mutations qui viennent troubler le fonctionnement de la démocratie parlementaire.


Quand on abandonne la démocratie directe pour la démocratie représentative les électeurs transfèrent leur pouvoir aux députés qui les représentent. Ainsi le « représentant député » exerce-t-il ses droits à travers un mandat délégué le jour de l’élection par le « citoyen représenté ». Cette opération s’opère par un mandat qui lui confère le pouvoir de représenter la nation tout entière.
 
Il est intéressant de constater que le terme de mandat tend à disparaître du vocabulaire des journalistes et des hommes politiques au profit de mandature. Cette innovation linguistique est importante car on abandonne la notion de pouvoir conférer au mandat au profit de sa durée.
 
Depuis le suffrage universel en 1848 et le vote des femmes en 1945, on constate un développement de l’écart entre représentants et représentés.
 
La confiance est un élément important de la démocratie représentative. Cette confiance résulte bien évidemment d’une adéquation entre le collège électoral et collège des représentants.
 
Ce transfert repose sur deux notions fondamentales : la représentation et la représentativité. La représentation implique la recherche de l’intérêt général, la représentativité la représentation des intérêts particuliers. Sieyès avait pris le soin en établissant la démocratie représentative de garder un corps électoral limité - en l’occurrence les propriétaires terriens - pour faire coïncider intérêt général et intérêt particulier.
 
Avec l’établissement du suffrage universel en 1848 et le vote des femmes en 1945, on constate un accroissement de l’écart entre représentants et représentés et ainsi on voit apparaître à côté de la notion de représentation celle de représentativité.
 
La notion de représentation implique un choix de représentants au-dessus de tout soupçon. Le représentant doit être librement choisi par le représenté. La représentativité est la qualité reconnue à une personne de représenter les intérêts d’un groupe de personnes, elle implique que le représentant ait les mêmes caractéristiques que la personne qu’il représente.
 
Comment marier représentation et représentativité ? Les partis politiques ont été choisis comme pouvant assurer le lien entre représentation et représentativité. Mais ils n’ont pas réussi. Le temps d’une campagne électorale ils privilégient la représentativité. Mais ce sont des volontés artificielles qui regroupent en réalité des demandes sectorielles reflets d’un électorat qu’ils veulent séduire. Puis une fois élus, le triomphe des « egos » aboutit à une perte de confiance des électeurs dans leurs élus. Cette désaffection est aujourd’hui très grande.
 
À défaut de pouvoir concilier représentation et représentativité et par les partis politiques, reste alors le mode de scrutin.
La représentation repose sur le scrutin majoritaire de préférence à un tour car la transmission de la volonté générale du peuple au profit d’une assemblée parlementaire laisse supposer qu’il n’y a qu’une volonté générale.
 
Que penser de la proportionnelle intégrale qui permettrait aux formations extrêmes de détruire le système politique actuel au profit d’une sixième république ?
 
Dans le scrutin majoritaire à deux tours si les programmes sont très différents les deux tours sont censés permettre des regroupements qui se rapprochent de la volonté générale.
 
Quant à la représentation proportionnelle elle privilégie la représentativité du collège élu c’est-à-dire un rapport étroit entre les différents segments du collège électoral et celui du collège élu.
 
La volonté générale n’est alors qu’un alibi qui recouvre des volontés multiples. À quoi servirait une dose de proportionnelle pour les 10 départements ayant le plus d’élus ?
 
Sur des simulations effectuées lors des précédentes élections, le Front National et la France insoumise obtiendraient environ une quarantaine de députés. Dans une assemblée divisée entre droite et gauche ces deux partis extrêmes seraient les maîtres du jeu.
Que penser de la proportionnelle intégrale dont on a vu les effets sous la IVe République comme dans les États qui la pratiquent actuellement et qui permettrait aux autres formations extrêmes de détruire le système politique actuel au profit d’une sixième république?
 
Il faut être très clair, représentation et représentativité ne peuvent cohabiter au sein d’une même assemblée. C’est la raison pour laquelle nous proposons de maintenir le scrutin majoritaire pour l’Assemblée nationale et d’étendre la représentation proportionnelle du Sénat. Ce dernier pourrait voir son pouvoir de proposition de loi étendu en fonction des besoins de la société.
 
Et surtout il ne faut pas oublier les réseaux sociaux qui sont en train de constituer une souveraineté numérique et qu’il faudra prendre en compte dans un avenir proche.

Jean-Marie Cotteret