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Pouvoir d’achat, mobilité et climat : les urgences au lendemain des législatives







16 Septembre 2022

Le nouveau gouvernement d’Elisabeth Borne va devoir prendre en main les questions brûlantes du pouvoir d’achat, de mobilité et des conséquences du réchauffement climatique. Trois sujets cristallisés par l’usage de la voiture. La grande question se pose à l’État : comment financer la transition énergétique des transports ?


Pouvoir d’achat, mobilité et climat : les urgences au lendemain des législatives



Les chiffres sont paradoxaux : les Français s’alarment face au réchauffement climatique mais souhaitent pouvoir continuer de se déplacer sur tout le territoire, et le plus souvent, en faisant usage de la voiture. Huit Français sur dix se disent en effet « inquiets » vis-à-vis de l’environnement et du changement climatique selon un sondage Ipsos-Sopra Steria, épisodes caniculaires et feux de forêt du début de l’été ne devraient pas changer la donne. Et, dans le même temps, une enquête de CSA Research confirme une tendance bien ancrée dans la population française : nous serions 84% à ne pas être prêts à nous passer de notre voiture. Les pouvoirs publics n’ont donc qu’une seule option pour faire cohabiter ces deux tendances : réduire l’impact de la voiture sur l’environnement, et donc décarboner les mobilités du quotidien.
 

La volonté politique ne peut pas tout faire
Et il y a du chemin à faire car les chiffres sont, là aussi, riches d’enseignement : les transports sont responsables de 31% des émissions de gaz à effet de serre en France, la quasi-totalité (94%) étant imputable à la route, principalement à cause de la combustion de carburant. Pour que l’État français puisse tenir son engagement de « zéro émission » en 2050, les Français vont donc devoir changer leurs habitudes et abandonner leur voiture à moteur thermique, d’autant que le Parlement européen vient de sonner le glas de leur commercialisation pour 2035 (hybrides comprises). Si certains Européens sont déjà bien avancés comme les Hollandais, d’autres – comme les Français – sont à la traîne.
 
Le deuxième mandat d’Emmanuel Macron s’ouvre donc sur ces enjeux, mélanges de préoccupations quotidiennes pour tous ces Français dépendants de leur voiture pour aller travailler et de préoccupations à long terme, pour l’avenir de la planète. En termes de transports routiers, la France a des atouts – l’étendue de son réseau – et quelques faiblesses – la qualité dudit réseau, entre autres. L’état des lieux est donc clair : le gouvernement d’Elisabeth Borne va devoir accélérer la politique de conversion des automobilistes et le développement des infrastructures décarbonées. Les pouvoirs publics ont aujourd’hui toutes les cartes en main, sauf une : les moyens financiers. Cette transition est une véritable révolution en profondeur, et donc très coûteuse.
 

Convertir les Français à l’électrique
Les premiers efforts gouvernementaux vont devoir se poursuivre pour convaincre les automobilistes français de troquer leur voiture diesel ou essence pour une électrique 100%. Le gouvernement vient par exemple de prolonger le barème du bonus écologique jusqu’au 31 décembre prochain : les voitures électriques neuves inférieures à 47 000 euros continueront de bénéficier d’un bonus maximum de 6 000 euros. Le montant de ces aides est également dépendant des revenus des foyers concernés. Et c’est bien là l’écueil nº1 : le pouvoir d’achat de nombreux ménages pour qui le passage à l’électrique est impossible.
 
Le prix moyen des véhicules thermiques neuf s’élève aux alentours de 27 000 euros, tandis que les voitures électriques neuves sont commercialisées entre 20 000 et 90 000 euros. Ce grand écart s’explique par l’autonomie de leurs batteries : pour faire plus de 500km avec une recharge, il faudra compter entre 70 et 90 000 euros. Impensable pour de nombreux acheteurs qui se tournent donc vers les véhicules d’occasion, hybrides par exemple. Les aides actuelles ne sont donc pas adaptées à la volonté de l’État de renouveler le parc automobile tricolore dans les vingt prochaines années.
 
Renouveler ce parc automobile vers l’électrique demande aussi d’adapter notre environnement et nos usages. Cela passe bien évidemment par la généralisation, partout sur le territoire, de bornes de recharge ultrarapides. Là aussi, le gouvernement va devoir trouver des solutions pour aller « plus vite, plus haut, plus fort » comme l’ont martelé plusieurs ministres ces deux dernières années. Début juillet, Enedis a annoncé avoir dépassé le cap du million de bornes installées en France, mais seulement 6% d’entre elles le sont dans l’espace public. Les promesses du gouvernement Castex n’ont pas été tenues (100000 bornes annoncées pour fin 2021, contre un peu plus de 50000 en réalité). Là aussi, il va falloir mettre le turbo pour faire coïncider l’avènement attendu des véhicules électriques sur nos routes et les infrastructures qui leur accueilleront.
 

Quelle sera la facture, et qui va payer ?
La transition énergétique aura donc un coût substantiel. Prenons l’exemple des 9 221 km d’autoroutes, qui représentent 1% du réseau routier français. L’aménagement de leurs infrastructures à lui seul devrait représenter une enveloppe de 60 à 70 milliards d’euros dans les dix ans qui viennent. Sur l’échiquier politique français, plusieurs projets se sont affrontés lors des campagnes électorales du printemps, et vont se transposer sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Par exemple, la NUPES et le Rassemblement national font front commun et promeuvent la renationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroute (SCA) tandis que les différents gouvernements de l’ère Macron ont catégoriquement rejeté l’idée, préférant garder le système actuel des concessions qui épargne à l’État de nombreuses dépenses. Le scénario d’une renationalisation, même s’il plaît à 77% des Français, serait en effet un non-sens pour les finances publiques, et donc pour l’ensemble des contribuables. L’État devrait en effet payer des indemnités pour rupture de contrat à l’ensemble des concessionnaires, puis assumer seul les milliards d’investissements et racheter la dette de 33 milliards dont il s’était lui-même débarrassé en 2006 au moment de la mise en concession, d’après les chiffres de l’ASFA (Association des sociétés françaises d’autoroutes). Une facture impossible à assumer dans le contexte actuel.
 
Quelles solutions pour financer la transition écologique des transports s’offrent donc au gouvernement ? Soit ce dernier piochera directement dans le Trésor public et augmentera les taxes, soit il mettra en place de nouveaux partenariats public-privé (PPP). Selon l’historien des concessions Xavier Bezançon, l’État doit en effet garder à l’esprit la notion de justice sociale dans le dossier des autoroutes : « Pourquoi le citoyen n’utilisant jamais les autoroutes devrait-il payer, via les impôts, ces mêmes autoroutes ? Celui qui n’utilise pas n’a pas à payer. Pourquoi l’État, qui est si encombré de dettes et qui s’en rajoute tous les jours, ne comprend-il pas qu’il faut absolument déléguer ? Politiquement, cette question devrait réunir droite et gauche. »
 
Et les autoroutes ne seront pas les seuls à mobiliser des investissements : selon le Conseil d’orientation des infrastructures (COI), la rénovation des routes non concédées (nationales, départementales, etc.), des voies navigables et des chemins de fer s’élèverait à 200 milliards d’euros sur dix ans. « Nous avons devant nous un véritable mur d’investissement qui préfigure un mur de fonctionnement, et il va bien nous falloir trouver collectivement les moyens de surmonter ces défis pour répondre aux multiples enjeux qui nous attendent, explique David Valence, le président du COI. La France a sans doute considéré avec trop de certitude durant les années passées que ses infrastructures étaient de qualité. TGV et autoroutes ont masqué la réalité : la France est en retard, très en retard. » Là aussi, l’État va devoir réfléchir à ses options : jouer la carte de l’intervention à 100% comme le souhaitent l’extrême-gauche et l’extrême-droite, avec d’évidentes répercussions fiscales sur les Français, ou celle de partenariats entre institutions publiques telle que l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) et acteurs privés, comme le proposent les partis plus au centre de l’échiquier politique.
 
Réseaux concédé et non-concédé partagent la même urgence : les investissements ne peuvent plus attendre. « Dans le dossier du réseau non concédé, l’État pourrait relancer des PPP (partenariats public-privé), poursuit Xavier Bezancon. Cela serait basé sur un paiement public de l’État : on ne demanderait pas de péages aux utilisateurs, l’entretien pourrait être confié à des entreprises privées. Sous Colbert (au XVIIe siècle), les grandes routes de France étaient faites dans le cadre de "baux d’entretènement décennaux", autrement dit des marchés d’entretien. L’État donnait en contrat la construction, la gestion et l’entretien, et l’opérateur qui finançait les travaux était payé en fonction de ses réalisations. En 1605 sous Sully, la voirie de Paris a été réalisée de la même manière. Le système de concession n’est donc pas une nouveauté. » Ce sont donc deux visions du rôle de l’État qui vont s’affronter sur les bancs de l’hémicycle, l’une interventionniste et coûteuse, l’autre libérale et plus pragmatique. Pour trancher ce débat entre gauche et droite, le niveau des finances publiques sera certainement le juge de paix.