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Thomas Savare, entre ancrage et projection : portrait d’un ambassadeur de la « marque France »







4 Juin 2014

C’est une entreprise française, Oberthur Fiduciaire, qui a conquis ces dernières années une place de choix sur le podium de l’impression mondiale de billets de banque. Autant dire que Thomas Savare, son dirigeant, a une expérience certaine du commerce international, puisque son entreprise travaille avec 70 pays différents. Pour lui, « le succès à l’international repose sur la capacité à savoir jouer simultanément sur de nombreux échiquiers : technologique, économique et commercial, bien sûr mais aussi diplomatique et culturel ».


Faire de l’ancrage territorial un atout qualité pour se renforcer sur les marchés étrangers

Thomas Savare, à la tête d'Oberthur Fiduciaire
Thomas Savare, à la tête d'Oberthur Fiduciaire
En début d’année, le gouvernement a jugé que la France, avec son déficit commercial record, devait redorer l’image de ses entreprises à l’étranger et se doter d’une identité économique sur les marchés internationaux. C’est ainsi qu’est née la mission de réflexion « marque France », qui peut s’inspirer de ceux qui déjà exportent leurs produits avec succès, tout en contribuant à diffuser une image positive de nos entreprises. C’est le cas de Thomas Savare, à la tête d’Oberthur Fiduciaire, une entreprise ancrée dans son histoire, et pourtant résolument tournée vers l’extérieur.

En 1842, François-Charles Oberthur fonde une imprimerie en Bretagne, près de Rennes. Un siècle plus tard, l’entreprise, qui connaît beaucoup de succès, a étendu ses compétences à l’impression fiduciaire, c’est-à-dire l’impression de documents sécurisés. Ce savoir-faire précieux a été judicieusement préservé, lorsqu’en 1984, Oberthur, qui traverse une phase difficile, est reprise pour un franc symbolique par Jean-Pierre Savare, un ancien cadre bancaire. Grâce à des choix stratégiques pertinents, l’entreprise se redresse. Quand en 2008, Thomas Savare en prend les rênes, il se retrouve à la tête d’une entité dont le socle de compétences en matière fiduciaire est solide. Cet ingénieur centralien de formation, qui n’en est pas moins un fin stratège, voit alors dans l’identité française d’Oberthur un avantage concurrentiel évident, notamment sur les marchés internationaux.

S’inspirer d’autres horizons

Mais pour lui, les qualités intrinsèques d’un produit ou les compétences clés de l’entreprise, aussi pointues soient-elles, ne suffisent pas à faire d’un champion industriel national un sérieux challenger en dehors de nos frontières. La réussite d’une entreprise à l’international tient aussi à sa capacité de se projeter dans les spécificités culturelles de ses zones de prospection : « Pour nouer des relations durables avec des clients et des partenaires, il ne faut pas se conformer à la lettre, il faut s’imprégner de l’esprit. » Dès lors, la dimension quasi-diplomatique de la fonction de dirigeant prend tout son sens : « il faut aussi gagner la confiance, surtout dans un métier confidentiel comme le nôtre, explique Thomas Savare. Et là on sort du domaine de l’arithmétique pour rentrer dans celui, beaucoup plus subtil, de l’humain et de la culture. »

Et de la subtilité, il en faut à l’international, pour un peuple réputé égocentrique et arrogant. « Nous Français et Occidentaux, sommes les seuls à estimer que la mondialisation débouche nécessairement sur un effacement des cultures et un reflux des Etats. Pour la quasi-totalité des autres peuples, c’est le contraire : ils y voient une occasion d’affirmer leur culture, leurs ambitions, leur souveraineté… » En négociation internationale, mieux vaut-il donc faire preuve d’humilité.

Cultiver la bonne image de la France en matière de design

Pour autant, un ambassadeur doit savoir convaincre tout autant qu’il est capable d’entendre. Car cette image d’excellence, de savoir-faire artisanal et de préservation des traditions que véhicule Oberthur Fiduciaire est l’un des points forts de la « marque France » que l’on souhaite aujourd’hui bâtir, en capitalisant sur la réputation des produits français. Une étude internationale publiée fin mai par l’agence de publicité CLM-BBDO relève en effet que l’image des produits Made in France jouit à l’étranger d’un atout précieux : leur côté artisanal, humain, qui en fait la qualité. La France bénéficie aussi d’une excellente réputation en matière de sens de l’esthétisme. C’est d’ailleurs le deuxième atout des produits français mis en avant par l’étude CLM-BBDO.

L’innovation : le côté pile de la pièce qualité

Néanmoins Thomas Savare estime que préserver les savoir-faire ancestraux n’est pas synonyme, loin s’en faut, de traditionalisme exacerbé et poussiéreux. La force de son entreprise réside en grande partie dans la forte dynamique d’innovation qui dicte sa gouvernance depuis son rachat par la famille Savare. C’est en effet une condition sine qua non pour assurer la durée de vie des billets. Sur le marché de l’impression fiduciaire, l’innovation est même directement liée à la survie de l’entreprise : les nouveaux procédés doivent permettre une sécurité toujours accrue des documents, et dépasser d’une génération au moins les compétences technologiques… des faussaires ! C’est aussi pourquoi il s’agit d’un métier où « l’innovation est une tradition ».

Un entrepreneur-ambassadeur

Philippe Lentschener, qui s’est vu confier la mission de définition de la marque France, a déclaré que « la marque France, c’est ça : un récit économique national dont on sera fier ». Thomas Savare, de son côté, affirme du haut de son vécu que « les Français, qui souvent doutent de leur capacité à réussir dans la mondialisation, seraient étonnés de constater combien notre pays jouit généralement d’une bonne image à l’international. » Ces regards croisés résument assez bien, en fin de compte, le potentiel de rayonnement industriel de la France à l’étranger. Il ne reste donc plus à la France qu’à bien vouloir s’en emparer.