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Agriculture et transition écologique : réformes ou Révolution ?







19 Novembre 2020

La souveraineté alimentaire appelée de ses vœux par la majeure partie de la profession agricole française constitue également le nouveau paradigme défendu par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie. Adoptée au plan européen, à travers le Green Deal et ses déclinaisons « Biodiversité 2030 » et « Farm to Fork », cette souveraineté se révèle être un défi englobant de multiples attentes en termes sociétaux, de sécurité alimentaire, de respect de l’environnement et de réponses aux nouveaux modes de consommation.


L'abeille, symbole, sans qu'elle le sache, des injonctions paradoxales faites aux agriculteurs
L'abeille, symbole, sans qu'elle le sache, des injonctions paradoxales faites aux agriculteurs
Pour satisfaire aux nécessités de la souveraineté alimentaire défendue par les pouvoirs publics français et européens, les agriculteurs se retrouvent régulièrement sinon constamment sous le feu de demandes contradictoires. Ils sont à la fois les principaux acteurs et les principales victimes de cette « cohabitation des contraintes et de la théorie du mistigri », selon la formule du ministre de l’Agriculture Julien Denormandie lors d’une table-ronde au Space 2020.

En effet, selon les projections de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les besoins alimentaires jusqu’à 2050 devraient augmenter de 70 % pour permettre de nourrir neuf milliards d’êtres humains. Dans un tel cadre, où la concurrence pour les ressources sera de plus en plus tendue, conserver l’indépendance alimentaire deviendra un enjeu géostratégique de plus en plus essentiel pour tous les pays de la planète, et notamment pour la France.  « En même temps », la société demande de repositionner la sécurité alimentaire au centre des enjeux et de réduire l’empreinte carbone dans les assiettes, l’objectif étant de parvenir, en France et en Europe, à une neutralité carbone en 2050.

 

« Plus » ou « mieux » : vrai ou faux dilemme ?

Ainsi, quitte à friser la caricature, on demande à la fois aux agriculteurs, et avec eux à toute la chaine de transformation de leurs produits, de produire davantage – ce qui peut vouloir dire encore plus intensément, avec ce que ce terme peut avoir de péjoratif, et de produire mieux – ce qui peut vouloir dire en optant pour de nouvelles approches, pas nécessairement compatibles avec la quantité demandée par ailleurs.

L’impression d’une injonction paradoxale se nourrit parfois, voire souvent, de raisonnement « hors-sol ». Comme dans le cas des néonicotinoïdes (NNI) et des débats parlementaires au sujet de leur ré autorisation temporaire et limitée à la seule culture des betteraves. Seul remède à ce jour contre un puceron qui ravage ces dernières, ils présentent pour les abeilles une dangerosité réelle, toutefois très circonscrite dans le cadre des protocoles prévus. Raison nécessaire et suffisante, selon certains, pour s’opposer à une mesure pragmatique et compromettre ainsi, non seulement la récolte, mais aussi toute la filière française garantissant une certaine autonomie en approvisionnement sucrier, ainsi que la pérennité de son écosystème. Sans compter que, faute de ressource en sucre de betterave français, il faudrait faire appel à des importations massives, sans garantie que les produits fournis respectent scrupuleusement les règles sanitaires de production françaises et européennes. À croire que la vie des abeilles de l’autre bout du monde a moins de prix… On ne ferait donc que déplacer le problème écologique ailleurs, loin de l’opinion française, au prix d’une crise socioéconomique de plus dans les territoires français, et d’une vulnérabilité supplémentaire en termes de dépendance alimentaire.
 

Relever le défi sans fragiliser le secteur

Remédier à ce qui apparait à beaucoup comme un dilemme : concilier la productivité et la rentabilité des exploitations d’une part, et la préservation de l’environnement et les attentes sociétales d’autre part, est un défi de longue haleine. C’est pourtant celui que les organisations professionnelles agricoles (APCA, FNSEA …) et le gouvernement français se sont engagés à relever, profitant du plan de relance post-Covid pour accélérer la transition écologique des exploitations agricoles. Il s’agit bien de réformer en profondeur les pratiques dans le sens de l’agriculture durable et responsable, mais en laissant le moins possible d’acteurs sur le bord de ce chemin vertueux : donc en leur donnant le temps et les moyens de changer de pratiques, et donc de mentalité. Les entreprises aussi bien de l’amont que de l’aval s’y associent en accompagnant les agriculteurs dans cette démarche, avec l’objectif que cette transition constitue à terme, pour ces derniers, un changement de modèle qui les ramènent au centre du développement des territoires.
 

Des initiatives foisonnantes chez les producteurs

La profession s’organise en répertoriant et diffusant les bonnes pratiques, et en les assortissant de labels. Les coopératives d’exploitants ont par exemple mis en place la « marque de confiance » Agriconfiance®, « fondée sur la mise en place d’un cahier des charges et d’une certification » qui prennent notamment en compte la limitation des intrants, la préservation des sols ou encore le bien-être animal et la traçabilité des produits. Au nombre des 32440 exploitations adhérentes, on compte par exemple celles réunies dans les coopératives céréalières Agora et ValFrance, dans le nord du Bassin parisien.

Du côté des viticulteurs émerge le label de « Coopératives So responsables » dont l’appellation est un clin d’œil aux initiales de Corporate Social Responsibility, équivalent anglo-saxon de la RSE. On pourrait dire « enfin », tant la perception d’un recours excessif aux pesticides est associée à la viticulture. Raison de plus pour réagir énergiquement. Ainsi, la « cave de Rauzan » a non seulement obtenu cette certification, mais elle adhère également aux normes exigeantes des « Vignerons engagés en développement durable », premier label « développement durable et RSE » dans le vin. Une telle reconnaissance, garantie par un cahier des charges ISO 26000 et des audits réguliers de l’AFNOR, est porteuse de fortes exigences. Concrètement, cela a conduit les vignerons de Rauzan à un vignoble certifié à 40% à « haute valeur environnementale » dès 2019, et d’ores et déjà à une superficie de 200 ha en agriculture biologique. Ou encore, en aval de la vendange, à l’utilisation de 100% de bouteilles fabriquées en verre recyclé, de 90% de bouchons en liège, et la liste des exigences ne s’arrête pas là… Il reste maintenant à ce qu’une telle démarche se généralise, là aussi sans vision idéologique avec des échéances non tenables, mais en assurant des conditions raisonnables qui permettent de conserver le dynamisme de la filière.
 

Et même chez les poids lourds du secteur

Mais la contribution à ce saut qualitatif ne concerne pas que les acteurs de petite taille. Les grands groupes d’agro-alimentaires, combinant activités agricoles et industrielles prennent leur part de cet effort de longue haleine. À la clé, des enjeux commerciaux, certes, mais plus encore de compétitivité et de pérennité de l’activité, dans le respect de la matière première travaillée : la terre et ses produits. Pour rebondir sur le sujet des betteraves à sucré évoqué plus haut, qui l’a remise sur le devant de la scène, c’est notamment le cas d’une grande coopérative comme Tereos. Numéro 2 mondial du sucre, le groupe a mis en place depuis plusieurs années déjà une politique de proximité, de circuit-court et d’économie circulaire, parvenant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à accroître sa compétitivité. Ainsi, 99% des matières premières transformées par Tereos sont valorisées, c’est-à-dire que la quasi-totalité des déchets obtenus d’une première transformation font eux-mêmes l’objet d’une utilisation. Autre indicateur, symbolique : 100% des coopérateurs en France métropolitaine ont obtenu le niveau Or et Argent de la SAI Platform, qui œuvre pour la promotion de l’agriculture durable.    

Par ailleurs, une part croissante des champs dans lesquels le groupe s’approvisionne sont irrigués par fertirrigation, procédé qui utilise l’eau extraite des betteraves pour apporter eau et nutriments aux terres cultivées à proximité. Plusieurs sites Tereos utilisent cette technique, évitant ainsi de puiser l’eau dans le milieu naturel. Tereos s’engage également à réduire la consommation énergétique nécessaire à la transformation des matières premières, à valoriser les résidus non alimentaires en énergie renouvelable, à mesurer et améliorer le recyclage de l’eau et enfin à valoriser les fibres et protéines dans son offre nutrition. C’est ainsi que le groupe a testé un camion roulant au bioéthanol ED95, une énergie produite à partir des résidus de transformation de la betterave. L’essai concluant est en cours de généralisation au sein de la flotte du groupe.

De même, la logique de circuit-court s’étend aux activités industrielles, puisque Tereos s’est associé avec Coca-Cola pour fournir le sucre nécessaire à la fabrication de ses sodas, dans un écosystème « court » borné par les champs et usines de Tereos près de Béthune, et les usines de Coca-Cola près de Dunkerque, à quelque 80 kilomètres.
 

Au bilan il est caricatural, voire mensonger, de décrire le secteur agricole, et plus largement l’agro-alimentaire français comme accroché à ses anciennes pratiques, et n’acceptant que du bout des lèvres un changement de modèle dont le bienfondé est indiscutable. Nous sommes face à un enjeu vital, dont les problématiques ne se résolvent pas par des déclarations péremptoires et des coups de baguette magique. Il s’agit de nourrir, bien et en quantité, donc de renforcer l’écosystème socio-économique agricole, plutôt que de le fragiliser davantage. Mettons donc en valeur les bons exemples et créons une dynamique positive pour entrainer tout le monde agricole à leur suite.