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Zomia, ce territoire sans État.







5 Avril 2013

Zomia, c'est l'histoire d'un territoire, d'un ensemble de peuples vivant comme égarés dans la chaîne de montagnes d'Asie du Sud-Est dominée par l'Himalaya. Forgé au début des années 2002, le terme de Zomia vient des termes tibéto-birmans « Zo » et « Mi » signifiant respectivement montagnes et gens. Contrairement à la stricte délimitation qu'ont les États, la Zomia s'étend sur environ 2,5 millions de kilomètres carrés, regroupe une population diverse et variée de 100 millions d'individus et chevauche six États de la Birmanie à la Chine. Les communautés qui la peuplent et qui présentent un ensemble très diversifié de langues et d'ethnies sont extrêmement mobiles. Pour autant, elles n'entretiennent pas forcément de lien entre elles. Fondées sur l’égalité sociale, elles inventent leurs propres légendes et croyances, et ont réussi pendant deux millénaires à échapper à la régulation étatique.


Une réflexion sur la place et le rôle de l'État.

Alexandre de Humboldt et Aimé Bonpland au pied du volcan Chimborazo - Friedrich Georg Weitsch (1810)
Alexandre de Humboldt et Aimé Bonpland au pied du volcan Chimborazo - Friedrich Georg Weitsch (1810)
Ce territoire, aux caractéristiques spécifiques, a été étudié en profondeur par James C. Scott, professeur de sciences politiques et anthropologue à l'université de Yale. Il est par ailleurs auteur de nombreux livres au sujet des résistances, de l'observation de tribus ou groupes d'individus a priori dominés – il a par exemple étudié le cas des paysans malaisiens – de population s'organisant autour de l'imagination d'un ordre social différent (notamment développé dans un de ses livres, « La domination et les arts de la résistance »).
Comment expliquer alors la singularité de ces terres ? Si l'État se définit par un champ de force, une attraction avec un ou plusieurs centres dominants qui a pour vocation à rassembler une population dans un même ensemble, sous une même entité, il est aussi tributaire des accidents de relief et de ses contraintes. Par exemple, selon la théorie du pouvoir paralysant des océans de John Mearsheimer, l'hégémonie d'un État ne saurait être entretenue de manière durable en dehors de ses frontières s’il y a une séparation de son territoire par une vaste étendue d'eau.

Selon James C. Scott, la Zomia incarne une réaction face aux tentatives intégrationnistes des États qui l'entourent, et la diversité de tribus qui la composent (Hmong, Miao, Wa, Tai, Karènes, Akha, etc) s'est toujours attachée à refuser les incarnations de l'État que sont l’impôt, la conscription, les recensements ou autant d'entreprises qui servent le besoin propre à l’État de définir des sociétés lisibles, mesurables et gouvernables. Le professeur confirme d'ailleurs cet élément de réponse : depuis « longtemps déjà, je cherche à comprendre pourquoi l’État est hostile aux gens qui bougent. […] Il est plus facile de recenser une population sédentaire, d’y lever des impôts et des conscrits et de la surveiller ».
Ces hautes terres, abritant d'une myriade de populations, ont ainsi accueilli des groupes qui n'ont eu de cesse de s’y réfugier pour échapper à l’emprise de l’État. Une résistance à la fois culturelle, mais aussi politique. Toujours selon James C. Scott, on peut trouver ces résistances jusque dans l'abandon de l'écriture, symbole de l'État et d'une institution figée. « À bien des égards, dit-il, une tradition orale est intrinsèquement plus démocratique qu’une tradition écrite ». Cette constatation est fondée par l'idée selon laquelle « la capacité de lire et d’écrire est généralement moins bien partagée que celle de raconter des histoires ». Ainsi, le caractère oral de certaines civilisations serait plus égalitaire, car plus accessible. Les États modernes s'efforçant pour leur part d'introduire le concept par des mesures parfois coercitives.
Ces études impliquent ainsi une réflexion sur l'État et sa nature. Car celui-ci ne peut pas être simplement défini en termes physiques. L'État, c'est avant tout une idée. En France, nous en avons un exemple parfait, puisque la formation de la république s'est faite selon cette doctrine, en conceptualisant la notion de nation, afin de légitimer son emprise sur une population donnée.

Ce territoire, aux caractéristiques spécifiques, a été étudié en profondeur par James C. Scott, professeur de sciences politiques et anthropologue à l'université de Yale. Il est par ailleurs auteur de nombreux livres au sujet des résistances, de l'observation de tribus ou groupes d'individus a priori dominés – il a par exemple étudié le cas des paysans malaisiens – de population s'organisant autour de l'imagination d'un ordre social différent (notamment développé dans un de ses livres, « La domination et les arts de la résistance »). Comment expliquer alors la singularité de ces terres ? Si l'État se définit par un champ de force, une attraction avec un ou plusieurs centres dominants qui a pour vocation à rassembler une population dans un même ensemble, sous une même entité, il est aussi tributaire des accidents de relief et de ses contraintes. Par exemple, selon la théorie du pouvoir paralysant des océans de John Mearsheimer, l'hégémonie d'un État ne saurait être entretenue de manière durable en dehors de ses frontières s’il y a une séparation de son territoire par une vaste étendue d'eau. Selon James C. Scott, la Zomia incarne une réaction face aux tentatives intégrationnistes des États qui l'entourent, et la diversité de tribus qui la composent (Hmong, Miao, Wa, Tai, Karènes, Akha, etc) s'est toujours attachée à refuser les incarnations de l'État que sont l’impôt, la conscription, les recensements ou autant d'entreprises qui servent le besoin propre à l’État de définir des sociétés lisibles, mesurables et gouvernables. Le professeur confirme d'ailleurs cet élément de réponse : depuis « longtemps déjà, je cherche à comprendre pourquoi l’État est hostile aux gens qui bougent. […] Il est plus facile de recenser une population sédentaire, d’y lever des impôts et des conscrits et de la surveiller ». Ces hautes terres, abritant d'une myriade de populations, ont ainsi accueilli des groupes qui n'ont eu de cesse de s’y réfugier pour échapper à l’emprise de l’État. Une résistance à la fois culturelle, mais aussi politique. Toujours selon James C. Scott, on peut trouver ces résistances jusque dans l'abandon de l'écriture, symbole de l'État et d'une institution figée. « À bien des égards, dit-il, une tradition orale est intrinsèquement plus démocratique qu’une tradition écrite ». Cette constatation est fondée par l'idée selon laquelle « la capacité de lire et d’écrire est généralement moins bien partagée que celle de raconter des histoires ». Ainsi, le caractère oral de certaines civilisations serait plus égalitaire, car plus accessible. Les États modernes s'efforçant pour leur part d'introduire le concept par des mesures parfois coercitives. Ces études impliquent ainsi une réflexion sur l'État et sa nature. Car celui-ci ne peut pas être simplement défini en termes physiques. L'État, c'est avant tout une idée. En France, nous en avons un exemple parfait, puisque la formation de la république s'est faite selon cette doctrine, en conceptualisant la notion de nation, afin de légitimer son emprise sur une population donnée.

Le constant développement du contrôle étatique sur les terres, les avancées technologiques, la globalisation des échanges sont autant de données qui paraissent entrer en contradiction avec un territoire « libre », épuré de toute gouvernance étatique. Et si un territoire sans État ne signifie pas pour autant un territoire sans gestion, sans gouvernance, leur pérennisation est bien souvent difficile. Car ce sont les entités étatiques, les Empires, les Monarchies, les Républiques qui font l'histoire en laissant des traces matérielles de leur passage.

Alors la Zomia va certainement disparaître, et son histoire avec. Particulièrement à cause des technologies qui empêchent les caractéristiques du terrain d'avoir cet effet d'éloignement, de retranchement. Mais la question qui importe est que, via l'accroissement de la puissance des États, et donc via la standardisation des régimes politiques, ne va-t-on pas à l'encontre d'autres modes de vie ? Une réflexion que l'on peut mettre en parallèle à celle de Bertrand Badie et de son concept de l'État importé, par lequel il dénonce l'importation de modèles étatiques clef en main, notamment en Afrique. Ceux-ci, sous couvert d'une adaptation au contexte extérieur, et souvent aux promesses d'une croissance économique, ne prennent pas en compte les facteurs internes déterminants à l'établissement d'un régime politique stable et adapté.