À quelques mois des élections présidentielles, se mobiliser peut-il faire une réelle différence pour créer une surprise concernant les deux candidats qui passeront au second tour ?
C’est le principe même de l’engagement politique : se mettre en action pour influer sur le cours du destin, sur le résultat d’une élection. Malgré tout le tapage médiatique et sondagier sur un deuxième tour prétendument couru d’avance, l’histoire nous rappelle que le duo annoncé six mois avant est rarement vérifié le jour J. Oui, il est possible de créer la surprise. Pour ça, nous avons cent cinquante jours d’ici le premier tour. C’est à la fois suffisamment long pour influer sur les résultats et suffisamment court pour que l’échéance pousse à l’action un grand nombre de personnes. Il est donc possible, nécessaire de se mobiliser de manière efficace. Dès maintenant.
Quel est l’élément déclencheur qui inciterait à une réelle mobilisation militante afin que cette période préélectorale se différencie des précédentes ?
Deux éléments me semblent déterminants : rafraichir notre logiciel militant et viser explicitement la croissance massive du nombre de personnes qui s’engagent. Le rafraichissement que je propose passe par plusieurs aspects, dont deux déterminants : mener des conversations individuelles que l’on peut quantifier pour que chaque militant prenne conscience de l’impact concret de son action et puisse le célébrer. Faire en sorte que chaque sympathisant soit sollicité pour passer aussi à l’action, personne n’est présumé simple électeur.
Alors que la gauche peine à s’imposer, sa réussite serait-elle dépendante de l’organizing que vous décrivez ?
C’est ma conviction. Aujourd’hui le militantisme politique est moribond. En même temps, on peut comprendre que peu de personnes auraient envie de militer avec un parti dont la seule action visible est le tractage en marché. Les méthodes d’organizing, à l’inverse, sont dynamiques, gratifiantes, car mesurables dans leur impact, et amènent chacun à développer de nouvelles aptitudes (elles sont encapacitantes). Ces trois éléments font que cette manière de militer a le potentiel de se déployer de manière virale chez les sympathisants. C’est indispensable d’avoir une force militante large pour réussir à convaincre le plus grand nombre de rejoindre nos idées. Enfin, ces méthodes sont fondées sur la conversation individuelle ce qui permet d’amener les personnes que l’on interpelle à s’exprimer sur leurs aspirations profondes, leur envie de changement. Et même quand les gens ne s’identifient pas comme de gauche ou de droite, une grande majorité souhaite une répartition des richesses plus équitable, se préoccuper de la situation écologique et vouloir que les citoyens soient écoutés dans notre démocratie. La gauche doit reparler au cœur des gens, et les écouter. C’est ce que propose l’organizing.
Comment avez-vous développé les différentes techniques que vous présentez dans votre ouvrage ?
Je n’ai rien développé, je me suis contenté de documenter, agréger et résumer de manière didactique des méthodes qui sont largement utilisées dans les mobilisations électorales aux États-Unis, et plus ponctuellement en France. J’avais tout ça en réserve depuis plusieurs années, et durant une dizaine d’insomnies bien productives au printemps 2021 j’ai décidé de mettre ça au propre pour avoir un impact sur la présidentielle de 2022. Dès le début je voulais que ce livre soit le plus pratique possible pour que quiconque qui le lise puisse se lancer dans la foulée, même seul. C’est pourquoi j’y présente les bonnes pratiques à suivre, mais je décortique aussi concrètement les différents types de conversations que l’on peut mener suivant les personnes que l’on aborde et notre objectif. Ce n’est pas la même conversation pour identifier un sympathisant, convaincre un indécis, faire passer un sympathisant à l’action pour sa première action bénévole, ou s’assurer qu’un sympathisant n’oubliera pas d’aller voter le jour J.
Quel a été l’impact de votre expérience lors de la campagne de Bernie Sanders en 2016 ?
À titre personnel, la campagne de Bernie Sanders en 2016 a changé ma vie. Elle m’a fait ouvrir les yeux sur le manque d’intégrité de nombreux acteurs de nos démocraties, le pouvoir d’une force militante bien organisée et l’impact que je pouvais avoir concrètement à mon échelle. Pour ce qui est du livre, cette campagne me permet d’assurer les lecteurs et lectrices que ce que j’y raconte n’est pas théorique. C’est du vécu. J’ai recruté, formé et mobilisé des milliers de personnes avec ces méthodes, j’ai vu aux premières loges comment la campagne de microdon de Sanders lui a donné les moyens de tenir tête aux démocrates conservateurs. Les bonnes pratiques, les formulations que je propose, sont l’aboutissement non pas de ma seule expérience, mais celle aussi de centaines de militants et militantes que j’ai rencontrés tout au long de cette campagne. Enfin, près de six ans après, la réévoquer me donne toujours des frissons d’enthousiasme qui je crois nourrissent ma capacité à emporter les sympathisants dans l’envie de gagner en appliquant ces méthodes.