Ces pénuries qui pèsent si lourd sur les entreprises françaises






24 Janvier 2022

Tous les secteurs sont touchés : construction, automobile, numérique… Les conséquences de la crise sanitaire sur l’économique française sont multiples. La première d’entre elles, les pénuries d’approvisionnement, a obligé les entreprises à reporter une partie de leur activité de 2021 à cette année. Le rebond est néanmoins espéré au premier semestre 2022.


Paris, rue de Bagnolet dans le 20e arrondissement. En septembre dernier, une entreprise du BTP – Besagni et Fils – installe des échafaudages pour des travaux de toiture et de ravalement d’un immeuble du début du XXe siècle, travaux censés être achevés avant Noël. Mais quatre mois plus tard, le chantier est toujours au point mort. Raisons invoquées : des ouvriers atteints en série par le Covid-19 et un retard d’approvisionnement en tuiles en céramique. Finalement, mi-janvier, le chantier reprend. Cette histoire banale est hélas révélatrice de l’état du marché à un niveau plus global : dans tous les secteurs, les pénuries sont synonymes de retards en cascade, et conséquemment de performances contrariées pour les entreprises.
 
Les pénuries d’approvisionnement, un phénomène mondial

En amont, les entreprises françaises sont en effet dépendantes de leurs fournisseurs. Et elles sont très nombreuses à avoir été affectées par les conséquences de la crise sanitaire. Selon une étude conjointe du cabinet AgileBuyer et du Conseil national des achats, tous les secteurs sont concernés, à des degrés divers : l’agroalimentaire, l’hôtellerie-restauration, l’automobile, la métallurgie, le luxe ou encore l’informatique et les télécoms. Au total, 65% des directeurs des achats sondés dans cette enquête estiment que les difficultés d’approvisionnement ont eu un fort impact sur l’activité de leur entreprise  en 2021. Selon Chris Williamson, économiste en chef de l’institut Markit, « la croissance a fortement ralenti en ce début de quatrième trimestre 2021 dans le secteur privé de la zone euro, les problèmes d’approvisionnement ayant paralysé le secteur manufacturier, tandis que l’expansion du secteur des services s’est essoufflée ».
 
Plusieurs faits expliquent ces pénuries en bout de chaîne : les changements de mode de consommation des ménages, l’augmentation des coûts du transport maritime mondial, le ralentissement de la production de certaines matières premières à l’autre bout de la planète entraînant une hausse des prix de ces dernières… Tous ces facteurs cumulés ont en effet un impact majeur sur les entreprises tricolores qui ont été obligées de reporter une part de leur activité en 2022.
 
Construction, automobile… des exemples parmi d’autres

Dans le secteur de la construction, la donne a radicalement changé en six mois. A l’été 2021, en pleine reprise, les chantiers tournaient à nouveau à plein régime, avant un net ralentissement en fin d’année. Comme dans toutes les crises, le mécanisme est souvent le même : cela commence par une envolée des prix des matières premières, cela se poursuit par des pénuries de matériaux. Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), le prix de l’acier a grimpé en 2021 de 15 à 20% par mois, une tendance tarifaire suivie également par le bois de construction, le cuivre ou les matières plastiques à cause, principalement, de la hausse spectaculaire (+400%) des frais de transports. Il y a quelques mois, le président de la FFB Olivier Salleron tirait ainsi la sonnette d’alarme, conscient que le BTP allait bientôt manquer de matériaux de construction (ciment, plâtre, isolants, peinture, verre…). Et tous les corps de métiers ont été logés à la même enseigne  : « Cela concerne toutes les matières premières et les fournitures les plus diverses, explique Véronique Vallée, secrétaire générale de la CAPEB de Haute-Garonne. Parfois, il ne manque que les roulettes plastiques pour finir un chantier portes fenêtres… » Les pénuries sont donc synonymes de pertes d’activité, ou de report de celle-ci dans le meilleur des cas.
 
Le phénomène est identique dans le secteur de l’automobile, très gourmand en composants électroniques et en matériaux métalliques fabriqués à l’autre bout de la planète. C’est le cas en particulier du magnésium entrant dans la composition de l’aluminium. Quelque 90% du magnésium utilisé par les constructeurs et équipementiers européens viennent de Chine. L’Empire du milieu ayant fermé le robinet à l’export en 2021, la pénurie de magnésium a contraint de fermer des unités de production  en Europe : « Le magnésium sert à produire l’aluminium. S’il n’y a pas d’aluminium, il n’y a pas de voiture », tranchait Jacques Aschenbroich, PDG de l’équipementier automobile Valeo en novembre dernier. La situation n’est pas encore réglée, comme l’explique le cabinet d’analyse américain IHS Markit : « La plupart des usines [en Chine] ont repris la production depuis début octobre 2021, mais sont tenues de tourner à 40% de leurs capacités. » Si bien que les prix, comme pour l’acier, sont montés en flèche, la tonne passant de 2000$ début 2021 à 14000$ en fin d’année.
 
L’autre sujet sensible pour l’automobile, comme pour les télécoms, ce sont les fameux semi-conducteurs. Ceux-ci sont nécessaires partout : dans les voitures bien sûr, mais aussi dans les bornes de recharge pour véhicules électriques dont les chaînes de production ont été mises à l’arrêt entraînant évidemment des mois de retard pour l’installation de ces bornes essentielles à l’essor de la mobilité verte de demain. Pour les constructeurs automobiles, la situation critique aurait déjà atteint son pic, une embellie pourrait ainsi relancer le secteur mi-2022 selon Raymond Vié du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA) : « S’il n’y a pas de composants, on ne peut pas fabriquer. Et ce manque touche tous les véhicules, même ceux industriels comme les camions. Sur les parkings des constructeurs, il y a des voitures qui ne sont pas finies. […] Toutefois, au premier trimestre 2022, ça devrait rentrer à peu près dans l’ordre. » L’embellie pourrait donc être proche.
 
Semi-conducteurs et fibre, le nerf de la guerre pour le digital

Victime de son succès avec le boom du télétravail et la digitalisation à marche forcée des entreprises, le numérique est lui aussi confronté aux pénuries de matières premières. Cela concerne donc les semi-conducteurs venus d’Asie, mais aussi les poteaux en acier et les câbles amenant la fibre jusqu’aux particuliers et aux entreprises. D’après le Syndicat professionnel des fabricants de fils et de câbles électriques et de communication, les pénuries d’approvisionnement ont impacté l’industrie française avec « une chute brutale au troisième trimestre 2021 » de 17% des livraisons de câbles à fibre optique.
 
Ces pénuries cumulées de semi-conducteurs, de poteaux et de fibre en France expliquent les chiffres les plus récents de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) quant au net ralentissement du déploiement de la fibre très haut débit en France en 2021. Du premier au quatrième trimestre 2020, la hausse (+84,7%) avait suivi la demande croissante des ménages et des entreprises, alors que la pandémie avait dopé la consommation de services digitaux. Mais 2021 n’a pas suivi cet élan, le troisième trimestre accusant même un vrai repli par rapport à celui de 2020, avec – 7% dans les effectifs d’abonnés Et le déploiement de la 5G pour téléphones mobiles est lui aussi en-deçà des attentes, avec par exemple les piètres chiffres de l’opérateur historique Orange face à ses concurrents comme Free, selon l’ANFR (Agence nationale des fréquences). Si bien que la France pointe à une triste 24e place mondiale avec 10,4% de sa population couverte, loin derrière les Etats-Unis (49,2%), les Pays-Bas (45,1%) et la Corée du Sud (43,8%).
 
Sur le terrain, le ralentissement du marché de la fibre touche autant les utilisateurs, particuliers comme entreprises, que les opérateurs des télécoms et leurs sous-traitants chargés de déployer la fibre très haut débit, dans les grandes villes mais surtout dans les territoires plus ruraux. Tous les intervenants de la chaîne sont évidemment touchés, à commencer par les entreprises chargées du « dernier kilomètre » pour le raccordement au réseau de la fibre THD. Chez Solutions 30 par exemple, qui opère en France et dans différents pays européens, le ralentissement s’élève à 12,7% de son activité dans l’Hexagone au troisième trimestre 2021. Des chiffres qui reflètent une tendance commune à tout le second semestre, les problèmes d’approvisionnement obligeant les équipes à décaler à 2022 nombre d’interventions prévues l’an dernier. D’autres opérateurs de déploiement sont eux aussi confrontés à des problèmes logistiques pour mener à bien les chantiers prévus en 2021, comme Axione ou XP Fibre à cause de la pénurie de poteaux. Des aléas techniques comparés à des « cailloux dans la chaussure » par Lionel Recorbet, le président de XP Fibre, pouvant « devenir rapidement problématiques ».
 
 
Malgré le trou d’air traversé en 2021 par différents secteurs, comme dans l’automobile ou la fibre, l’année 2022 s’annonce sous de meilleurs auspices. 91% des directeurs des achats considèrent les pénuries des mois derniers comme « conjoncturelles », 47% d’entre eux ayant également décidé de relocaliser en France et en Europe leurs sources d’approvisionnement. Après la crise de 2021, l’effet rebond de la reprise, conjugué à l’atténuation attendue des effets de la pandémie, offre donc des motifs d’espoir pour les mois qui viennent.