« Coupé du monde » : l’autosuffisance énergétique en situation extrême






12 Février 2015

L’autosuffisance énergétique est souvent uniquement perçue comme une nécessité des explorations lointaines. Mais ces innovations apparaissent également comme des solutions d’avenir pour les pays en voie de développement. Une preuve supplémentaire de l’ébullition qui agite le secteur de l’énergie depuis quelques années.


Il l’a fait. Couvert de panneaux solaires à haut rendement, le PlanetSolar a bouclé un tour du monde uniquement grâce à cette énergie renouvelable. Des conditions extrêmes qui ont permis à Raphaël Domjan de montrer que l’autosuffisance énergétique grâce aux énergies renouvelables est possible et ce, partout sur la planète.

Un modèle d’énergie durable pour tous

Crédit : Ingimage
« L'objectif de ce projet c'est vraiment de démontrer qu'aujourd'hui nous avons la technologie. Et ce n'est plus une technologie de laboratoire ou d'amateur, c'est vraiment une technologie qui est fiable et performante, et intéressante sur le plan économique » explique l’éco-aventurier. C’est la voie qu’ont choisi d’emprunter des habitants de zones parfois isolées comme les populations des rives de la mer Blanche au nord-est de la Russie. Erigé dans la région de l’Arctique, un parc éolien destiné à devenir un des plus puissants d’Europe fournira de l’énergie à plus de 100 000 foyers. Ce site expérimental, dont la production est censée débuter en 2016, permettra d’évaluer l’utilité et l’efficacité du recours aux énergies renouvelables dans une zone où l’approvisionnement en énergies fossiles est difficile. De la Sibérie aux steppes longeant la Volga, la Russie compte actuellement huit parcs éoliens en activité afin de fournir de l’énergie à ses habitants coupés du monde.

Certaines populations ont poussé le défi plus loin en devenant complètement autonomes grâce à une politique énergétique innovante. Elles ont ainsi su tirer parti de leurs conditions climatiques et proposer des systèmes adaptés, comme sur l’île d’Eigg en Ecosse où la centaine d’habitants vit grâce à un mix énergétique basé sur l’hydro-électrique, l’éolien et l’énergie solaire. Idem sur l’île danoise de Samsø qui est devenue la première île autosuffisante, entraînant l’Etat danois sur la voie de la transition énergétique. Ces divers exemples montrent bien qu’il existe des technologies multiples et non une solution unique. Car le succès de l’autosuffisance semble bien résider dans l’adaptation des solutions en fonction de la ressource disponible. Mais qui dit autonomie, dit aussi solutions de stockage des énergies. 

Quand stocker rend autonome

Crédit : Ingimage
En effet, face à la montée en puissance des énergies renouvelables, la question du stockage de l’énergie se pose d’autant plus dans des régions qui ne peuvent compter que sur de sources énergétiques intermittentes.  Il convient alors de récolter l’énergie lorsqu’elle est produite en abondance, pour la redistribuer ensuite en fonction des besoins de la population. Sur ce terrain, la France est bien positionnée comme le soulignait Arnaud Montebourg, alors Ministre du redressement productif à l’ouverture d’un colloque sur ce thème : « dans la bataille mondiale pour le stockage de l’énergie, la France dispose d’atouts technologiques très importants ». Des années de R&D ont par exemple permis à Renault, Alstom ou Mc Phy Energy de développer des solutions innovantes afin de pallier aux défauts du STEP (pour Station de transfert d’énergie par pompage) qui est massivement utilisé. Or, cette technique est loin d’être universelle et ne peut satisfaire les besoins des populations les plus isolées. La solution proposée par McPhy est celle d’une conversion de l’énergie électrique en énergie chimique grâce à l’électrolyse. Le stockage se fait alors sous forme d’hydrogène, plus pratique à utiliser. Cette technique est également utilisée par Atawey, une entreprise qui conçoit et fabrique des solutions sur mesure afin de favoriser d’autonomie énergétique des sites isolés en zone tropicale ou tempérée. Les deux entreprises ont d’ailleurs conclu un partenariat exclusif pour le marché des sites isolés.

Pour le français Forsee Power, l’un des leaders européens de l’intégration de systèmes de batterie, l’autonomisation énergétique répond à une évolution logique de nos modes de vie : « Dans les pays développés, les consommateurs essaient de se prémunir contre l’augmentation des prix de l’électricité en auto-consommant. A tout cela s’ajoute un phénomène socio-économique de plus en plus prégnant dans l’ensemble des pays qui est la volonté d’indépendance, l’envie de s’affranchir des réseaux et de produire sa propre consommation », précise Gilles Ramzeyer, directeur de la division stockage d’énergie pour Forsee Power. Fondée via la réunion de trois sociétés spécialisées dans le stockage d’énergie, Forsee Power travaille notamment en partenariat avec EDF. « L’intérêt des particuliers ou des entreprises n’est plus de produire pour revendre, mais de produire pour consommer, d’où l’émergence du concept d’off grid », ajoute Gilles Ramzeyer, qui précise que les solutions développées par Forsee Power sont regardées de très près dans les pays en voie de développement (PVD). Certains souffrent en effet d’un accès encore réduit à l’électricité, compte tenu d’un réseau de distribution trop limité ou défaillant – voire inexistant - par endroits.

Une solution en faveur des pays en voie en développement

Car pour certains, l’autosuffisance apparaît comme une nécessité face à une situation de sous-équipement collectif ou de développement insuffisant. On estime en effet que 19 % de la population mondiale n’a pas accès à l’électricité et environ 85 % des « sans-courant » vivent en zone rurale, d’après un rapport d’ENEA Consulting sur l’accès à l’énergie. La Banque mondiale estime pour sa part que pour répondre aux besoins électriques de l'Afrique, il faudrait investir 40 milliards de dollars chaque année pendant 20 ans. On n'en est actuellement à 11 milliards, soit quatre fois moins. L’Afrique, dont la partie subsaharienne représente à elle seule la moitié de la population mondiale n’ayant pas accès à l’énergie, mais aussi l’Asie du Sud-Est, sont en première ligne.

Les nouvelles solutions d’autosuffisance énergétique apparaissent ainsi comme des fenêtres sur l’avenir pour près de 2 milliards d’habitants de la planète. Au Tchad par exemple, la désertification croissante combinée à une prise de conscience généralisée encourage population et gouvernement à opter pour le solaire. Des fours solaires ont été mis en place afin de remplacer l’utilisation du bois de chauffe et du charbon et pallier aux carences de la Société nationale d’électricité qui peine à fournir régulièrement de l’énergie. Le solaire est également investi afin d’éclairer la capitale tchadienne, et est petit à petit intégré dans les nouvelles constructions d’édifices publics. Cette « appropriation des énergies renouvelables » afin de solutionner le problème énergétique est promue par le Président Déby et largement soutenu par des partenaires chinois. 6000 kits solaires de 100 à 500 watts ont été offerts au Tchad par le plus grand investisseur et producteur d’énergies renouvelables.

Autre projet, le programme BipBop a permis - grâce au soutien de l’ONG Energy Assistance France et des pouvoirs publics vietnamiens - de construire une microcentrale hors réseau dans une région reculée au centre du pays. Cette installation fonctionnant à l’énergie solaire a permis à 35 foyers, à la douane et à la base militaire d’être approvisionnés en électricité de manière fiable et durable.

Le développement d’un réseau ou d’un mini-réseau semble être une des pistes à suivre pour les PVD. Ces pays pourraient être les premiers intéressés par des solutions telles que les Off ou Smart Grids qui permettent une indépendance par rapport à un réseau physique de distribution d’énergie en produisant sa propre énergie. Le magazine « Energie  » plaide ainsi pour une électrification des zones rurales des PVD selon cette méthode. Pensées à l’origine pour les pays développés dans le contexte d’une transition énergétique longue à prendre forme, ces solutions pourraient trouver une concrétisation rapide dans les pays en voie de développement… nécessité faisant loi.
Crédit : Ingimage