« Ecologisation » des transports : pourquoi Montebourg est sur la bonne voie






21 Décembre 2021


Candidat indépendant à la présidentielle d’avril 2022, ancré à gauche, Arnaud Montebourg intègre l’écologie dans nombre de ses propositions. Pour les transports, l’ancien ministre et actuel entrepreneur souhaite « écologiser » un secteur pointé du doigt pour son impact environnemental. Une démarche utile.
 
« Je suis un homme de gauche, fidèle à mes valeurs. » En septembre dernier, Arnaud Montebourg a présenté aux Français sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, en rappelant son bilan et en mettant sur la table de nombreuses propositions susceptibles de donner un coup de fouet à l’économie française. « Reprendre une part de souveraineté, c’est du bon sens, ou alors c’est que nous avons perdu le droit de décider pour nous-mêmes », s’interroge celui qui a été ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique de 2012 à 2014. Depuis le mois de septembre, il ne cesse d’évoquer les sujets qui touchent vraiment les Français, comme le pouvoir d’achat et la transition écologique, loin des billevesées de l’extrême-droite qui envahissent médias et débat public.
 
Une Remontada pour redonner le pouvoir au peuple
A 59 ans, Arnaud Montebourg a des arguments à faire valoir, et un pedigree qui parle pour lui. Chantre du « made in France » lors de son passage au gouvernement qu’il a quitté après avoir essayé – en vain – d’infléchir la politique libérale du président Hollande, l’ancien député de Saône-et-Loire n’a jamais dévié de trajectoire : pour lui, il faut réindustrialiser la France et relocaliser les industries qui sont parties ces vingt dernières années. Toute l’économie française profiterait d’un tel mouvement, avec à la clé la création de milliers d’emplois, partout sur le territoire. De retour sur le ring politique à l’occasion de sa campagne présidentielle baptisée la « Remontada », cet ancien avocat veut profiter de son expérience de chef d’entreprise dans le miel pour parler à la France populaire et rurale.
 
Dans ses cartons, Arnaud Montebourg arrive donc avec de nombreux projets : réindustrialisation, revalorisation immédiate du SMIC de +10%, protectionnisme, ruralité, renationalisation des autoroutes, transition écologique, politique du logement, création d’un « délit de trahison économique », réforme institutionnelle et VIe République… Montebourg entend bien redonner la voix au peuple. Et aussi lui redonner du pouvoir d’achat. De nombreuses mesures proposées vont dans le bon sens, d’autant plus qu’elles sont réclamées par cette « France d’en bas » qui regarde son niveau de vie s’éroder mois après mois, et sa parole ignorée par le pouvoir politique, de Matignon à l’Elysée. Dans ce panorama, la place des transports est centrale, à commencer par la voiture.
 
Transports : des idées tournées vers l’avenir
Loin des élites parisiennes, la grande majorité des Français reste en effet attachée au mode de transport nº1 en France, la voiture. « Aujourd’hui, 85% des foyers disposent au moins d’un véhicule, et c’est surtout un bien indispensable pour deux tiers d’entre eux, qui vivent notamment en zones périurbaines et rurales, analyse Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’institut de sondage IFOP. Ce que les Gilets jaunes ont rappelé, c’est que sans voiture, ils ne peuvent rien, mais que son coût vampirise le budget des ménages. » Et les candidats à la présidentielle ne peuvent ignorer cette réalité, comme l’explique Chloé Morin, politologue associée à la Fondation Jean Jaurès : « Pour ne pas de se faire disqualifier ou se voir apposer une image de personne déconnectée de la réalité, aucun candidat présidentiel n’a intérêt à attaquer la civilisation automobile. Même les candidats écologistes ne sont pas antivoitures. »
 
Arnaud Montebourg sait bien que la France des régions – qu’il sillonne depuis trois mois en train – ne peut se passer de la voiture. Son programme a donc intelligemment pris en compte cette réalité. Par exemple, l’ancien ministre a pensé aux automobilistes utilisant quotidiennement leur véhicule pour aller travailler, et propose d’augmenter le nombre de points sur leur permis : « La question du permis à points pour les professionnels est infernale. Je donnerais un capital de points beaucoup plus important pour ceux qui travaillent avec leur véhicule », espérant également davantage de tolérance de la part d’un État qui « pourrait être un peu moins racketteur ». Une mesure reconnectée à la réalité du terrain pour ces nombreux Français vivant avec une épée de Damoclès au-dessus de leur permis et qui n’hésitent plus à vandaliser les radars.
 
Mais plus important encore, Montebourg ne peut dissocier environnement et transports. Il veut donc « écologiser les transports ». Son programme prévoit par exemple l’instauration d’une taxe carbone et de droits de douane sur les importations, mais surtout la généralisation des voitures électriques, la relance des petites lignes ferroviaires régionales et l’essor du ferroutage (transport rail-route combiné). Ces promesses de campagne seraient vertueuses pour le secteur, en particulier la taxe carbone – ou écotaxe – dont la mise en place a connu des ratés ces dix dernières années. Le candidat Montebourg peut s’appuyer par exemple sur la volonté de certaines régions d’aller dans ce sens, anticipant les directives de l’État, le transport routier représentant jusqu’à 89% du fret dans celles souffrant le plus de pics de pollution. Il n’y a pas de hasard, et l’action publique pourrait enfin changer la donne selon le candidat Montebourg. De là découle également l’idée de généraliser le ferroutage qui aurait un double avantage : celui de réduire le nombre de camions sur les routes et de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Pour rappel, le secteur des transports est responsable à lui seul de 42% des émissions dues à la consommation énergétique en France, selon le ministère de la Transition écologique. Le programme d’Arnaud Montebourg est pragmatique et apporte surtout de vraies solutions.
 
Pour financer tout cela, Arnaud Montebourg a une recette : la renationalisation des autoroutes, souhaitée également par Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon à la gauche de la gauche, mais aussi par Marine Le Pen et Nicolas Dupont Aignan à la droite de la droite. Il veut même aller vite dans ce dossier : « Pour commencer tout de suite ces investissements de l’après-pétrole, je vous propose que notre première décision soit la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes », lance-t-il sur Twitter le jour de l’annonce de sa candidature. L’électorat de gauche applaudit, tant les sociétés gestionnaires d’autoroute sont accusées d’avoir engrangé de recettes grâce à leur gestion du réseau français. Les contrats d’exploitation actuels, signés par l’État, arrivent à échéance entre 2031 et 2036.
 
Un seul bémol : renationaliser les autoroutes irait contre la justice sociale
Le sujet mérite de s’y attarder, car le dossier est plus complexe que des slogans de campagne. D’abord parce que la renationalisation proposée n’en serait pas une : l’État n’a pas vendu les 9200km d’autoroutes françaises, il en est toujours propriétaire. Revenir sur les concessions actuelles signifierait en revanche pour l’État de rompre les contrats signés, moyennant de lourdes indemnités à verser aux entreprises pour compenser leur manque à gagner. Là, la bataille des chiffres bat son plein. Le ministre macroniste des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, estimait le coût de l’opération à 47 milliards d’euros devant les sénateurs en 2020 : « Ce serait une gabegie financière ! Le "concession-bashing" ne fait pas progresser le débat. Rappelons que les sociétés concessionnaires ont généré 50 milliards d'euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018, et investi 20 milliards d'euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, de nombreuses infrastructures n'auraient pas vu le jour. » Arnaud Montebourg, lui, a pris le contrepied total du gouvernement dans un tweet le 15 septembre dernier : « Le ministre de l’économie Bruno Le Maire croit [pour sa part] qu’il faudrait 40 milliards d'euros pour racheter les autoroutes, quand on les a vendues 14... La Remontada de la France passera par la nationalisation des autoroutes. Les contrats en cours peuvent être rompus à un coût de 0 euro. » Alors, qui dit vrai ? Djebbari, Le Maire, Montebourg ?
 
Le chiffre réel est certainement à mi-chemin entre 0 et 47 milliards. Entre 20 et 40 milliards d’euros, selon les estimations des sénateurs Jean-Paul Chanteguet et Vincent Delahaye qui ont travaillé à tour de rôle sur ce dossier. Une coquette somme que l’État devrait sortir de caisses désespérément vides alors que les contrats de concession arrivent à échéance dans quelques années seulement. Une solution consisterait à rendre les autoroutes gratuites pour les ménages non imposables. Cela éviterait ainsi de reporter le coût sur l’ensemble des Français quitte à faire payer plus les ménages aux revenus les plus élevés et qui par ailleurs utilisent bien davantage ces infrastructures.
 
L’électeur de gauche ne s’y retrouvera pas : « Il est important d’introduire la notion de justice sociale, analyse Xavier Bezançon, historien et auteur de plusieurs livres sur l’histoire des concessions en France. Pourquoi le citoyen n’utilisant jamais les autoroutes devrait-il payer, via les impôts, ces mêmes autoroutes ? Celui qui n’utilise pas n’a pas à payer. Et pourquoi l’État, qui est si encombré de dettes et qui s’en rajoute tous les jours, ne comprend-il pas qu’il faut absolument déléguer ? » Déléguer signifie entre autres laisser aux opérateurs privés la mission d’investir et de poursuivre le « verdissement » du secteur autoroutier déjà entamé. En 2020, ces entreprises – qui sont contraintes de suivre les grandes orientations de la transition écologique – ont investi 1,5 milliard d’euros selon l’Association des sociétés françaises d’autoroutes. Pas sûr que l’État puisse en faire autant chaque année. Dans les faits l’écologisation suggérée par Arnaud Montebourg est déjà sur les rails, sans coût direct pour le Trésor public.
 
Alors, l’automobiliste français est-il condamné à être une vache à lait pour l’État ? En partie oui malheureusement, comme en témoignent les prix à la pompe qui ne cessent de grimper. Mais cela pourrait être pire pour l’ensemble des contribuables qui pourraient se retrouver à payer une facture – celles des autoroutes – qui n’est pas la leur, si jamais l’État devait en récupérer la gestion. A méditer.