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Joe Biden à l’international, un Donald Trump camouflé ?







18 Décembre 2020

Professeur affilié d’économie et codirecteur du Centre de Géopolitique à HEC Paris, Jeremy Ghez a accepté de répondre à nos questions sur les élections présidentielles américaines. Expert de la politique américaine, il est auteur de l’ouvrage « Etats Unis : Déclin improbable, rebond impossible ». Décryptage…


Dans un climat de tensions dangereuses avec l’Iran, J. Biden aurait-il avantage à revenir à une conception apaisée du problème et donc à une politique similaire à celle de B. Obama?

Je pense que Joe Biden ne suivra ni la politique d’Obama, ni celle de Trump. Ce qu’il est important de retenir c’est que Biden aura beaucoup de mal à faire renaitre l’accord sur le nucléaire iranien. L’Iran, cela est maintenant clair, n’en veut plus. D’ailleurs, toutes les tensions qui en ont résulté étaient bel et bien voulues par l’Iran. Un retour à l’approche d'Obama est donc impossible. Le sujet sera très certainement traité sous les radars. Je pense là à ce qui s’apparenterait plus à une cyber guerre qu’à une confrontation directe. L’Iran en a d’ailleurs largement les moyens. Joe Biden pourra, cependant, rebalancer le jeu entre les Etats Unis et l’Iran. Pour le faire, il aura la possibilité de prendre des distances vis-à-vis de Riyad. De cette façon, il rendrait la situation de l’Arabie Saoudite un peu plus difficile commercialement parlant mais pourrait, par la même occasion, apaiser les relations avec l’Iran.

Pensez-vous que la conception de Biden en matière de relations internationales sera multilatérale ?

Lorsque l'on regarde les objectifs de l’administration Biden et que l'on les compare à ceux de Donald Trump, les deux hommes sont difficiles à distinguer sur le plan des relations internationales (et plus particulièrement en matière de guerre économique contre la Chine). Une nouvelle idée émerge et, même si elle est totalement fausse, elle rencontre un franc succès au sein de la population américaine. La mondialisation aurait flouté l’Amérique sur le plan international, lui aurait fait perdre son statut de grande puissance. Il ne faut pas oublier que la victoire de Joe Biden repose, en partie sur la Pennsylvanie, le Michigan et Wisconsin. Ces états sont considérés, cela est vrai, comme des perdants de la mondialisation. Politiquement, il est difficile d’imaginer que Joe Biden ne prendrait pas en compte leurs demandes.
La promesse d’une nouvelle adhésion aux Accords de Paris permet de ne pas douter d’un retour par Biden à une forme de multilatéralisme, mais cette dernière ne fait pas tout. Les oppositions par le congrès sont tout à fait envisageables. Sur le plan du climat, il procèdera donc, peut-être par décrets exécutifs comme Barack Obama. Cependant, il faut garder à l’esprit lorsque l’on observe le congrès, que les alliés de Joe Biden vont aussi faire face à des campagnes de réélection. Elles seront très difficiles et leur peur de perdre à cause de sujets tels que l’écologie entrainera sans doute de leur part une incapacité à soutenir Biden.
Finalement, la tonalité et la façon de procéder changeront mais le fond restera certainement similaire.

Biden ne reviendra pas sur le déplacement de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem mais assure qu’une telle décision n’aurait pas dû être prise. Que signifie cela pour la politique étrangère de J. Biden ?

Je crois que cela ne signifie pas grand-chose. Cette décision est juste symbolique. Elle est, en réalité, faite pour plaire à une partie de l’électorat et, finalement, je pense que l’autre partie n’y accorde pas d’importance. On a longtemps dit que la situation au Moyen Orient n’évoluerait pas sans un accord de paix entre Israël et les palestiniens. Pourtant, on se rend compte que cela n’est pas tout à fait vrai. Finalement, les européens accordent au conflit israélo-palestinien bien plus d’importance que le reste du monde. Le véritable enjeu se trouve réellement entre Riyad et Téhéran.

Au regard des antécédents avec la Chine, à quelle attitude de la part de Joe Biden faut-il s’attendre vis-à-vis de la Loi chinoise d’export control rentrant en application le 1er décembre 2020 ?

Indubitablement, une confrontation multidimensionnelle aura lieu entre la Chine et les Etats Unis. Si l’on compare Joe Biden et Donald Trump, on se rend compte que Biden est même plus engagé que Trump dans la compétition américaine contre la Chine. Pour Donald Trump, l’affrontement était exclusivement commercial. Pour Biden, il le sera également mais il touchera aussi les volets technologiques, diplomatiques et militaires. L’évolution à laquelle il faudra s’attendre sera, encore une fois, celle du ton et de l’approche des négociations. Quoi qu’il en soit, le face à face doit avoir lieu car il est impossible, pour les Etats Unis, de laisser la Chine faire ce qu’elle fait aujourd’hui.
Par rapport à ces lois de contrôle à l’export des produits chinois, une question européenne se pose aussi. Il faut prendre conscience que si l’Europe est persuadée qu’elle va être mise de côté, elle finira par l’être pour de bon. L’Europe a mis en place le RGPD et d’autres règlements en matière de conformité des produits exportés. Les cibles sont prioritairement les géants américains. Si ces derniers souhaitent intégrer le marché européen (et ils ont tout intérêt à le faire), ils devront appliquer ces règles. L’Europe a donc véritablement le moyen d’influencer ces acteurs et les relations internationales. Tout cela aura forcément, donc, un impact sur la Chine qui a tout autant intérêt que ses concurrents à intégrer le marché européen.