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L'évolution de l'enseignement : Regards croisés d'une enseignante à la retraite







29 Septembre 2023

"L'éducation n'est pas seulement une transmission de savoir, c'est une quête de vérité." En plongeant dans cet entretien captivant, nous découvrons la vision profonde de Jacqueline Raspail, cette ancienne professeure de français dont le parcours est marqué par la passion de l'éducation. Autrice de l'ouvrage "Éloge de la transmission" paru chez VA Éditions, elle décrypte avec acuité le système éducatif contemporain, allant du jargon pédagogique à la quête constante d'équilibre entre rigueur et spontanéité. Ses réflexions, ancrées dans une riche expérience et une érudition sans faille, offrent un éclairage précieux sur les défis et les espoirs du monde éducatif. Une conversation à ne pas manquer pour quiconque se préoccupe de l'avenir de l'éducation.


Au fil des années, le monde éducatif a vu émerger un jargon pédagogique de plus en plus complexe. Comment percevez-vous cette évolution ? Pensez-vous que cela ait enrichi ou obscurci la transmission du savoir ?

Je me suis toujours refusée à utiliser le jargon pédagogique ridicule, complexe, faussement savant qui peut en imposer aux pauvres élèves qui ingurgitent et recrachent aux examens des mots qu’ils ne comprennent pas. Les élèves n’ont pas besoin de cela, ils ont besoin d’un langage précis, clair. La transmission s’en trouve obscurcie, elle ne correspond plus à rien.
Je conseille donc aux enseignants de laisser tomber ce vocabulaire prétentieux et savant de revenir à la simplicité. Respectons les œuvres telles qu’elles ont été écrites et passé l’épreuve du temps. « Ceux qui font aujourd’hui des images, sans prendre garde aux termes abstraits, ceux qui font tomber la grêle ou la pluie sur la propreté des vitres, peuvent aussi jeter des pierres à la simplicité de leurs confrères ! Elles frapperont peut-être les confrères qui ont un corps, mais n’atteindront jamais la simplicité qui n’en a pas. »

Avec des mesures récentes comme le "pacte enseignant", le système cherche à s'adapter aux défis contemporains. Selon votre expérience, ces initiatives sont-elles une réponse adéquate aux problèmes actuels, ou risquent-elles de compliquer davantage la situation ?

Le « pacte enseignant » une façon de faire des économies ?

Dans votre ouvrage vous évoquez des expériences avec des stagiaires ayant une approche très structurée de l'enseignement. À votre avis, quelle est la place de la spontanéité et de l'adaptabilité dans la salle de classe ? Comment trouver le juste milieu entre un plan de cours rigide et la nécessité de s'adapter aux besoins changeants des élèves ?

Les stagiaires formatés par ces nouvelles méthodes savantes ont perdu le goût de la transmission. Il faut savoir mêler rigueur et fantaisie Si l’on a saisi l’attention de la classe, peu importe si l’on déborde sur l’heure suivante. Certains textes sont « à tiroir », certains passages des contes de Voltaire méritent que l’on s’attarde sur plusieurs intérêts, la fin de Candide par exemple., « il faut cultiver notre jardin. », « Le travail éloigne de nous trois grands maux... » il y a des thèmes qui les intéressent, l’amitié, le coup de foudre, « ce fut comme une apparition », c’est sans fin.
 
Le minutage, la rigidité, ça ne marche pas.

En repensant à votre parcours et aux critiques formulées par des figures emblématiques comme Jacqueline de Romilly, comment visualisez-vous la formation idéale des enseignants de demain ? Quels seraient, selon vous, les piliers essentiels d'une telle formation ?

Comment former les enseignants de demain ?
Commencer à leur apprendre à voir à travers tous ces jeunes qu’ils ont devant eux des germes d’intelligence, d’invention, ce sont des enfants fragiles dans un monde difficile et fou.
Ne jamais les traiter d’ignares, de débiles, de crétins, d’illettrés, d’imbéciles...Ils sont les fruits de ce que nous leur donnons, et dans leur famille et dans l’école.
Exiger des enseignants le souci de bien faire, ne pas laisser tomber, il faut réinventer une façon d’enseigner, tout en gardant le cap. L’acquisition des fondamentaux : savoir lire, écrire et compter, revenir à la culture générale. On commence dans certaines écoles à revenir au papier, aux manuels, le support informatique a révélé ses dangers auprès des jeunes
L’intelligence artificielle est un outil magique, précieux mais elle n’est qu’un outil. Evitons aux enfants de penser qu’il n’est plus nécessaire de faire travailler sa mémoire, de se croire intelligent, n’oublions jamais l’adjectif artificiel. Profiter et utiliser toutes les performances de ces outils mais pouvoir s’en passer et discerner, choisir ce qui est bon.
 
L’enseignant est irremplaçable. Lui seul est capable de saisir le potentiel des enfants, de dénicher des pépites telles Paul Valéry, Albert Camus. La lettre de Camus en hommage à son instituteur est bouleversante. Et je lisais il y a peu de temps ces quelques lignes précédant un entretien avec Fabrice Luchini : « Il arrête l’école à 14 ans et devient coiffeur, il ne pouvait pas être sensible à Racine et Flaubert et pourtant il a hérité de tout ce qui fait l’esprit français. Et ce ne sont ni aux médiathèques, ni aux animateurs culturels que nous devons le plus brillant interprète de nos chefs d’œuvre. Non par miracle, Luchini a eu des maîtres et mille fois sur le métier a remis son ouvrage.
 
Les adolescents sont toujours les mêmes, ils ont besoin de repères, de barrières, d’exemples, de considération et d’amour.
 
Notre métier est peu rétribué, certes. Mais n’oublions pas que le plus beau métier du monde nous offre des richesses humaines qui ne se comptabilisent pas. Je suis à la retraite depuis vingt ans maintenant et j’ai offert à quelques élèves un exemplaire de cet essai. Je vous livre un témoignage reçu hier.
« Vous m’avez transmis la passion exprimée dans votre livre lorsque j’étais en première, et cela m’a enrichie pour toute ma vie... »
Ce sont des cadeaux et pour elle et pour moi qui ne se chiffrent pas en euros.