La Chine et Hollywood, meilleurs ennemis ?






2 Mars 2022

Divertissement pour les spectateurs, le cinéma est une réelle arme pour les États. Le combat est donc mené sans relâche entre la Chine, plus gros marché cinématographique, et les États-Unis et leur empire hollywoodien. Dans « La guerre des puissants » (VA Éditions), quatre co-auteurs spécialistes en intelligence économique nous décryptent les stratagèmes de domination de la Chine et des États-Unis. Ils nous présentent aujourd’hui la relation sino-américaine face au septième art.


Avec ses quotas de films étrangers et ses règles strictes de programmation, la Chine force le cinéma américain à promouvoir l’empire du milieu afin de pouvoir être diffusé sur son territoire. Cette situation va-t-elle perdurer ou les États-Unis et principalement Hollywood finiront par réagir ?

Depuis quelques années et surtout depuis la crise du Covid, on observe un point de bascule. La Chine est devenue le plus important marché cinématographique en termes de recettes en 2020 et 2021, devant les Etats-Unis. Face à un retard des superproductions américaines à cause de la pandémie, les films chinois ont pris le relais pour combler les projections. En 2021, en Chine, presque 85% des recettes de billetteries sont des films chinois, et les blockbusters chinois arrivent en tête. La pandémie n’a fait qu’accélérer le déclin programmé des films américains en Chine.
 
Là où Pékin a encore besoin d’Hollywood, c’est pour le marché à l’exportation. Les productions chinoises restent quasi exclusivement pour le marché intérieur et s’exportent encore mal bien que reprenant les codes des super productions hollywoodiennes. Jusqu’ici Pékin compte sur les co-productions ou les financements de films dont le PCC, via le SAPPRFT (organisme de contrôle pour ne pas dire de censure), contrôle rigoureusement le narratif, les acteurs et le contenu. Ce faisant, Pékin utilise subtilement la force de frappe hollywoodienne dont le modèle économique est basé sur l’exportation. Pékin a ainsi accès à une diffusion mondiale de son narratif via les réseaux hollywoodiens que Washington a mis des décennies à bâtir à coup de canon diplomatique comme les accords de Blum-Byrnes en France, ou en 2006 avec la Corée du Sud dans le cadre d’un accord de libre-échange. On peut résumer cela à un stratagème de Sun Tzu que Pierre Fayard nomme « le potentiel des autres ».
 
Cependant, comme pour le marché local, Pékin réfléchit déjà à se passer d’Hollywood pour l’export sur le moyen-long terme. Objectif qui est affiché dans le 14ème plan quinquennal de faire de la Chine une puissance culturelle forte d’ici 2035 dont le cinéma en serait le fer de lance. Il faut bien comprendre que l’industrie cinématographique s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large qui date de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 avec pour ambition de doter le PCC d’outils pour « mieux raconter l’histoire de la Chine et faire entendre la voie de la Chine ». Le cinéma est aussi un outil de propagande de politique intérieure au service du PCC, comme lorsque les salles ont l’obligation de projeter des productions « patriotiques » telles que « Il est trop fort mon pays », ou des productions du Parti. L’industrie cinématographique chinoise s’inscrit dans une stratégie de long terme, beaucoup plus vaste dans la diffusion de contenu, sur le marché intérieur d’abord, puis à l’extérieur. La première phase est atteinte, la deuxième est en cours.
 
Côté Américains, quelques voix de la société civile s’élèvent contre les compromissions de l’industrie américaine avec le régime autoritaire de Pékin. On peut citer le cas du film Mulan en 2020 produit par Disney dont une partie des scènes a été tournée au Xinjiang  : Disney remercie dans le générique les autorités locales tandis que les Ouïghours y sont persécutés. Pour ne rien arranger, l’actrice principale, Liu Yifei a apporté son soutien à la police hong-kongaise pendant les manifestations de 2020. Des appels au boycott ont été lancés initialement par des militants asiatiques (Taiwan, Thaïlande et Hong-Kong) puis repris en Occident. Cependant, aucun mouvement de masse n’a suivi pour faire plier Hollywood malgré les nombreux constats de leur complaisance. Pour le moment l’industrie de la culture américaine a le droit à une étonnante bienveillance de l’administration américaine pour ses relations troubles avec Pékin. Et cela ne semble pas s’inverser avec Biden, ni prendre dans la société civile américaine ou même internationale.
Cependant, comment demander à des entreprises capitalistiques de faire l’impasse sur le premier marché mondial ? Il faut comprendre que c’est bien là une contradiction du modèle américain que la Chine exploite à merveille, en leur faisant miroiter les chiffres gigantesques de son marché intérieur. Les entreprises capitalistes sont bien loin de la morale et réfléchissent bénéfice, rentabilité et profit maximum. Sans pression ou mesures coercitives soit de la société civile pour rappeler à l’industrie du cinéma américaine que tout n’est pas permis, soit directement de la Maison Blanche pour fixer des limites, Hollywood se pliera aux exigences de plus en plus strictes du Parti même pour des miettes de l’énorme gâteau chinois. « Business is business » comme on dit outre atlantique. Il n’y a pas pour le moment de stratégie américaine si ce n’est ouvrir un peu plus le marché chinois comme l’avait demandé Trump en 2017. On ouvre la gueule du loup de plus en plus grand pour mieux y rentrer…