La Personne, la Nation et l’Identité






31 Mai 2023

L'identité, un mot aujourd'hui décrié, cache une réalité plus profonde : la singularité de l'individu et du groupe. "Le Souverainisme est un humanisme", un livre écrit par l'ingénieur et souverainiste Marc Rameaux, explore cette notion. Publié chez VA Éditions, il traite de la question de l'identité à travers le prisme du souverainisme, proposant une vision renouvelée de l'individualité et de la nation. Un défi lancé à notre époque moderne où le concept d'identité se trouve souvent stigmatisé.


Le terme d’identité est devenu en France un mot interdit. Immédiatement rattaché à sa forme adjectivale « identitaire », sa connotation est celle d’un marqueur fort de l’extrême droite, une revendication perçue comme agressive. Dans le vocabulaire moderne, parler d’identité est teinté de la menace d’action violente : le terme est réservé à ceux qui ont franchi le pas de l’activisme.

Le Larousse donne deux définitions de la forme adjectivale « identitaire », particulièrement intéressantes :
Qui concerne l'identité, la singularité de quelqu’un, d’un groupe. Parfois péjoratif. Qui caractérise la revendication par une communauté de son identité menacée.

Ces deux définitions et le glissement observé de l’une à l’autre résument toute notre époque moderne.

La « singularité » est ce qui nous différencie, nous caractérise, valable aussi bien pour une personne que pour un groupe. Il semble odieux de revendiquer d’avoir une personnalité avec des traits saillants, tout comme il semble inadmissible de clamer un sentiment d’appartenance à un groupe. Pas de doute, ceux qui veulent la mort des nations veulent aussi la mort de l’homme et cela n’a rien de fortuit.

Nous étions prévenus : Raphaël Enthoven ou Noah Harari avaient déjà décrété la mort du moi, l’inexistence de la personne. Ils expédient cette question en quelques lignes, à la manière d’un commissaire politique soviétique : parlez d’une question comme si elle était déjà résolue, vous éviterez toute discussion, le procédé est connu. Il n’y a pas plus d’âme individuelle que d’âme d’une nation pour ces deux auteurs. Il faut les remercier d’une chose : placer en permanence ces deux questions à proximité l’une de l’autre montre qu’elles sont très liées.

La deuxième définition mérite le détour. Ressentir une menace et la signaler est considéré de nous jours comme agressif, quel que soit le caractère réel ou fictif de cette menace. Il est vrai que nous sommes le pays où la légitime défense est la plus sévèrement punie. Dans la justice française actuelle, c’est la victime qui doit craindre le tribunal. Non seulement vous demandez à être considéré comme une personne, mais de surcroît vous vous défendez, quel culot !

Signaler le jeu des frères musulmans en France nous condamnerait à un terme « péjoratif » ? J’en parle avec d’autant plus de décontraction que les meilleurs lanceurs d’alerte sur ce sujet s’appellent Boualem Sansal, Driss Ghali, Kamel Daoud, Fatiha Boudjahlat, c’est-à-dire des personnes ayant vécu la culture arabo-musulmane actuelle de l’intérieur. Tous leurs témoignages concordent : avec nos droits de l’homme, nos principes républicains, nos débats sur la laïcité, nous sommes ridicules et naïfs. Autant adresser une gentille remontrance à des criminels endurcis. Le rappel de principes civiques n’est pour eux qu’une marque de faiblesse de la part d’occidentaux décadents, les encourageant à être encore plus virulents et vicieux.

« Le Souverainisme est un humanisme » est un livre de reconstruction des identités, de la personne comme d’une nation, en ces temps de déconstruction, de relativisme, de coquilles vides traversées de désirs mimétiques et de forces de marché, censés être suffisants à nous définir.

Je m’appuie pour cela sur une pensée ancienne, du XVIIe siècle, mais extraordinairement moderne. Cette pensée est un trait d’union entre la philosophie antique, la tradition des moines grammairiens et logiciens du moyen-âge, les questions du grand siècle, jusqu’aux développements les plus poussés de l’algorithmique moderne.

Nous ne sommes pas seulement un être particulier, local, avec ses limites humaines. Nous renfermons en nous l’univers entier, mais exprimé d’une certaine façon, selon une perspective qui nous est unique. Dans des termes modernes, chaque être humain est un encodage, une énumération unique par son ordre et sa structure, de la totalité du monde. Nos souvenirs conscients et inconscients, nos images mentales ne sont pas seulement une grande bibliothèque limitée. Ce qui nous en est apparent ne sont que les premières notes d’une mélodie infinie, d’une bibliothèque totale comme celle rêvée par Jorge Luis Borges. Nous sommes chacun un microcosme, une représentation du tout condensée dans un petit monde local. La nature est auto-réplicative, ceci commence à être connu.

Il en est de même des nations. Chacune d’elle exprime la totalité du monde, mais dit d’une certaine façon qui est sa signature, sa « griffe », l’empreinte digitale qu’est son génie national. Les nations ne sont pas des constructions culturelles artificielles, temporaires, un simple particularisme nostalgique et éphémère. Même lorsqu’elles meurent dans l’histoire, la combinaison unique que chacune représente ne peut être effacée. Si par un désastre civilisationnel, nous perdions la totalité des grandes œuvres musicales, Bach, Mozart, Beethoven, qu’aucun homme ne puisse s’en souvenir et que toutes les partitions aient été perdues, une cantate de Bach existerait encore comme mélodie ayant laissé sa trace, même si la mémoire immédiate des hommes l’ignore.

Cette façon de voir présente de nombreux atouts :
La reconstruction est réelle : le souverainisme est trop souvent accusé de n’être qu’un sentiment de nostalgie plus ou moins « rance ». Il est à présent doté de racines philosophiques profondes. L’attachement à son pays et à sa culture procède d’un nouveau regard sur le monde.
 
La nation ne s’oppose plus à l’universel : elle est l’universel, mais dit d’une certaine façon, propre à un peuple et à son histoire. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que la rédaction de notre constitution en témoignent : elles sont à la fois universelles et intégralement françaises. De même que les Athéniens fondèrent une nation universelle, mais étaient ardemment patriotes. Même Socrate maniait la lance et le bouclier au sein de la phalange pour défendre la Cité. Le pire poison que le mondialisme a pu répandre est de faire du patriotisme un particularisme parmi d’autres. Or la nation française s’est précisément construite dans l’histoire à l’encontre de toutes les formes de communautarismes. En diabolisant le patriotisme, les véritables communautarismes ont prospéré : notre société n’est plus qu’une succession de clans et de communautés se déchirant. La nation est l’universel incarné dans une histoire concrète, elle n’est pas un universel abstrait, une vue de l’esprit.
 
L’âme de chaque personne ainsi que l’âme d’une nation sont reconstruites, sans qu’il y ait quoi que ce soit d’essentialiste ou de religieux. Elle peut ainsi parler à chacun, quelle que soit sa croyance. Chaque personne et chaque nation sont des lignées historiques inaltérables, inscrites au cœur du monde : l’attachement à la personne et l’attachement à la patrie sont des engagements spirituels, sans avoir besoin d’être religieux. Ce point est d’importance, car nos sociétés consuméristes et nihilistes n’ont aucune chance de résister face aux spiritualités frelatées qui profitent de leur vide. Il leur manque une composante humaine essentielle.
 
La personne est reconstruite, par opposition à l’individu. L’individu est cet atome isolé, sans mémoire, sans attache, balloté par les remous du consumérisme, des fausses émotions médiatiques, des indignations de commande. La personne se retrouve elle-même, se reconnecte à ce qui fait sa marque propre ainsi qu’à la culture nourricière dans laquelle il a baigné. Il est fort de sa personnalité propre et de la rencontre de cette personnalité avec les lignées centenaires et millénaires des ancêtres auxquels il est à nouveau relié.
 
Le faux clivage entre liberté individuelle et esprit collectif trouve sa résolution. Un homme ne se résume pas à sa nation, il possède une inaltérable personnalité individuelle. Mais la langue, l’art de vivre, la culture, l’histoire et les mythes dans lesquels il a baigné ne sont pas indifférents à ce qu’il est devenu. Certains disent qu’ils auraient pu tout aussi bien naître en Finlande, au Brésil, au Kenya plutôt qu’en France et que ce serait indifférent à ce qu’ils sont. Qu’il s’agit d’un pur hasard. En réalité, la personne et la nation sont une rencontre, un croisement et un entrelacement de deux âmes, de deux lignées inaltérables. L’une ne vient pas écraser ou supprimer l’autre : leur rencontre les augmente toutes deux.

Il faut préciser ce point, car beaucoup de souverainistes abhorrent le libéralisme politique et philosophique, qu’ils jugent responsable de la dissolution nihiliste du monde moderne. Ils en viennent à sacrifier l’autonomie et la responsabilité individuelle sur l’autel de l’esprit collectif et national. Ils jouent Sparte contre Athènes. Ceci est patent chez un Alain de Benoist par exemple.
 
Mais une nation libre est faite par des hommes libres. Il n’y a pas à choisir entre liberté, individuelle et sens de l’aventure collective qu’est l’appartenance à la nation. L’attachement inaliénable à la nation a d’autant plus de valeur qu’il est un amour librement choisi parce qu’il résonne au fond de nous-mêmes, qu’il n’est pas un simple conditionnement. C’est pour cette raison que le lien charnel qui nous unit à un pays peut être celui d’une patrie d’adoption, pas nécessairement celle de notre naissance. « Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines » disait Romain Gary. On ne peut mieux exprimer que l’attachement à sa nation n’est pas un simple sentimentalisme, mais la volonté libre et l’amour qui en font une part de nous-mêmes.

Le souverainisme est un humanisme parce qu’il est une vision complète du monde, qu’il nous fait ressentir plus intensément les lignes de force de l’histoire et celles qui font de nous une personne unique.

Nous ressentons le pouls du monde et le pouls du vivant. La réalité biologique est souverainiste : une cellule vivante possède une membrane, c’est-à-dire une frontière, distinguant un intérieur et un extérieur. La cellule n’est ni bunker ni zone ouverte à tout vent. La membrane est filtrante : elle permet d’échanger avec le monde extérieur, mais distingue nettement ce qu’elle accepte et ce qu’elle refuse, ce qu’elle reçoit et ce qu’elle rejette. Le bunker des véritables fascistes et la zone ouverte à tout vent des mondialistes sont renvoyés dos à dos par le souverainisme : ils sont deux faces d’une même médaille, deux formes d’une culture de mort.

Les cellules sont organisées en réseau lorsqu’elles s’organisent collectivement et se spécialisent dans des fonctions biologiques. Claude Lévi-Strauss faisait remarquer que le vivant était affaire de juste distance : trop de proximité tue par étouffement, trop de distance tue également, par manque d’échanges. La juste distance est nécessaire à l’éclosion de la vie : il en est de même pour les cellules et pour les civilisations.

Être ouvert au monde, est-ce prôner un monde où toutes les frontières auraient été abolies sous la houlette d’un gouvernement mondial ? Un monde standardisé, nivelé, doté d’une seule norme et d’un seul mode de vie ? Ou bien le monde n’est-il pas riche des différents microcosmes qui le constituent, des multiples modes de vie et cultures qu’il faut préserver ?

Les nations ne se sont pas constituées par hasard et ne sont pas l’affaire que d’un temps particulier de l’histoire. Ceux qui en veulent la mort sous-estiment de façon irresponsable les lois essentielles du vivant, les mécanismes les plus profonds qui soient, en action dans ce qui fait le cœur d’une personne et celui de la vie de son pays.