Le Believer : Quand une revue mythique traverse l'Océan... Attention à l'iceberg ?



Journaliste littéraire. Aime faire voisiner Musset et Thompson, Shakespeare et Bukowski, Easton… En savoir plus sur cet auteur



3 Aout 2013


En 2012, un grand nom américain apparaît, en VF, dans nos librairies, à raison de quatre numéros annoncés par an, sortes de compils jonglant entre les articles récents et les archives phénoménales. La très culte revue The Believer a cédé ses droits à la maison Inculte, bien connue pour l'édition de sa revue éponyme jusqu'en 2010. Décryptage d'une démarche dont le principe soulève des questions de fond dans le paysage littéraire français.


Le Believer : de Mc Sweeney's à Inculte


The Believer, c'est d'abord Mc Sweeney's. C'est Dave Eggers et Vendela Vida, c'est une histoire d'amour. En 2003, l'écrivain et éditeur Dave Eggers crée The Believer, une revue indépendante, publiée par sa propre maison d'édition, fondée en 1998 à San Francisco : Mc Sweeney's. Un nom à la consonance écossaise à San-Francisco, normal, mais laissons de côté l'histoire de Mc Sweeney's pour rester focalisés sur cette revue qui a pour but de "se concentrer sur les livres et les auteurs que ses éditeurs aiment", pour reprendre les mots de l'une d'entre eux. Ses éditeurs ne sont autres que Vendela Vida, la femme de Dave Eggers, et des copains du couple, la romancière Heidi Julavits et l'éditeur Ed Park. Un petit comité qui veille à l'ouverture d'esprit de la revue, à la croisée des chemins entre littérature, musique, cinéma et sociologie. Pas de véritable cadre, les articles n'ont pas de format, de longueur imposée ou d'obligation de coller à l'actualité : l'esprit de The Believer est libre, ancré dans le mouvement de l'instant présent. On y trouve des interviews, des face à face entre artistes, des nouvelles, des articles d'investigation, des chroniques littéraires et comptes rendus de lectures comme ceux de Nick Hornby "Stuff I've been reading", des papiers purement axés musique comme ceux de Greil Marcus, des essais bizarres... Signées Charles Burns, les couvertures et les illustrations intérieures confèrent à la revue une esthétique visuelle à la fois pop et classique, en parfaite adéquation avec son ton général. The Believer, c'est un genre de patchwork cosmopolite et éclectique, rigoureux et décalé à la fois. Le professionnalisme intransigeant et le sens du concept propres aux américains assurent les fondations impeccables du projet. A la fois grand public et très ciblé, The Believer parle autant aux artistes qu'aux curieux, aux passionnés qu'aux sympathisants. En visant très large sans pour autant compromettre la qualité de son contenu, la revue s'assure une pérennité certaine dans un pays de plus de 300 millions d'habitants dont, rappelons-le, plus des trois quarts est urbaine.
 
Côté Français, c'est donc la maison d'édition Inculte qui rachète les droits en 2011, à la Foire de Londres et qui publie le "premier" numéro de "Le Believer" en mars 2012. Créées en 2004, Les Editions Inculte publient une revue éponyme distribuée par Actes Sud jusqu'en 2010. 20 numéros au bout desquels ses éditeurs constatent "un tassement irrémédiable des ventes, ainsi qu'une certaine mécanique de travail trop bien huilée", comme le dit Jérome Schmidt, membre fondateur d'Inculte. Ces paramètres poussent l'équipe à l'arrêter, pour "éviter de tomber dans la redite et la facilité". La maison d'édition choisit, deux ans plus tard, de "sortir totalement du circuit littéraire francophone", toujours selon les mots de Jérome Schmidt et de frapper fort avec l'import de la revue culte américaine. La version française jongle donc entre 1/3 d'archives et 2/3 d'articles des numéros en cours de la version originale et avec un gros travail de traduction. Inculte souhaite tendre à conserver l'esprit instable de The Believer, sans optique prédéfinie ni thématique dominante. Les premiers numéros, donc visiblement volontairement désordonnés, parviennent à relever le défi, même si parfois, le mélange devient un peu trop fouillis pour capter durablement l'attention.

Une fois les présentations achevées, que reste-t-il, concrètement ? L'import d'une revue pose nécessairement la question de la création dans le pays visé par la dite importation. Qu'elle soit économique ou culturelle, la problématique de l'import / export demeure d'une même nature. Le paysage littéraire français, en perte de stabilité et d'originalité, souffre d'une absence de dynamisme et d'inventivité. Les jeunes (ou moins jeunes) plumes manquent de tremplins, les tremplins manquent de moyens et de lecteurs, les lecteurs manquent de nouveautés et de motivation. Les français sont connus pour leur appétit de surface des livres, et non pour un véritable intérêt dans la littérature. Si importer un classique comme The Believer permet d'ouvrir l'esprit des curieux tout en surfant sur la vague américanophile, la démarche peut faire en faire grincer plus d'un et presque gêner, d'un point de vue idéologique général.  
 
 
 

De la question de l'import en terrain fertile


Quelles conclusions tirer de l'import total d'une revue ? La critique française est-elle à ce point moribonde pour qu'on ne conçoive pas une version au moins franco-américaine ? Les circuits de distribution sont-ils têtus au point de refuser de miser sur les écrivains, critiques, journalistes et artistes français et de leur préférer des valeurs sûres,  étrangères ? La culture française serait-elle si poussiéreuse que les émissions littéraires tardives nous le laissent penser ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Jérôme Schmidt avance des raisons de techniques (distribution, mise en place), de volonté de concentration sur les ouvrages collectifs d'Inculte et un besoin de sortir du circuit francophone. La mentalité française par rapport aux revues littéraires est également pointée dans ses propos "Faire une revue littéraire textuelle uniquement, de création ou de commentaire, équivaut - fort malheureusement - à ne plus exister en librairie". En France, l'originalité n'est plus de mise depuis plusieurs décennies. Les revues ou journaux indés, tels qu'on les connaissait dans les années 80, sont relégués aux rangs de vestiges d'une époque créative et disjonctée. Façade, Lui, Actuel et compagnie sont parfois édités en best-of coûteux, vite épuisés et collectors, mais personne ne tenterait l'aventure sans groupe de presse en sécurité. L'heure étant au vintage et à la nostalgie, Lui doit ressortir à la rentrée, piloté par Frédéric Beigbeder et Façade s'est offert un relooking glacé. Même en mode, secteur où toutes les dépenses sont permises et encouragées, l'initiative de Carine Roitfeld s'est limitée à CR, un très épais catalogue assez gauche.

Bref ne digressons pas, revenons à nos croyants et à cette légère ambivalence des idées. Reconnaissons une certaine originalité dans la démarche qui donne un coup de punch (un peu cher) dans l'espace visuel des librairies, et peut-être un peu dans les esprits. Le Believer pourrait-il amener des gens à lire ? A s'intéresser à la littérature ? A sortir des sentiers battus ? Espérons! En plus de ne pas ou peu lire, les Français adorent facilement tout ce qui vient de cet Eldorado critiqué et hué en public, jalousé et désiré en secret : les Etats-Unis. Nombreux sont les artistes américains qui connaissent un large succès en France (Woody Allen, David Lynch), voir qui deviennent connus dans leur pays grâce à l'engouement qu'ils rencontrent au pays de la baguette et du camembert (Dan Fante, Mark Safranko). Un support américain importé a donc plus de chances de séduire qu'un média français. C'est un fait. Tout comme certaines maisons d'édition s'assurent une rentabilité certaine en misant sur l'import américain, comme 13e Note, qui en fait presque sa marque identitaire. D'autres jonglent, équilibrent. Sonatine ou Le Diable Vauvert publient énormément d'anglophones, mais donnent aussi la parole aux français. Côté revue, il en existe en France, soyons honnêtes. Mais souvent confidentielles, souvent difficiles à trouver, souvent d'une durée de vie limitée (par manque de moyens et de visibilité), ou, au contraire, très grand public ou d'orientation économico-politique comme XXI. Le serpent finit par se mordre la queue et même par se tuer dans l'oeuf. Les écrivains, auteurs, critiques, journalistes, essayistes, poètes et autres qualificatifs susceptibles de convenir à toute personne nourrissant des velléités littéraires ne bénéficient que d'une visibilité réduite.
 
Et maintenant ? Après 3 numéros, le Believer semble se faire discret, et même invisible. Pas d'annonces, pour l'instant en tout cas du numéro à venir, pas de parution en 2013... Pas de signe sur internet ni de la part des éditeurs le concernant. Espérons que le plomb n'est pas resté dans l'aile de l'idée au point de lui faire piquer du nez...
 
 

La principale interrogation reste donc : quel avenir, quelle émulation, quelle visibilité pour la littérature française si on commence à importer les bonnes idées américaines ou anglaises ? Et à, concrètement, ne pas trop mal le faire.  Les Etats-Unis sont connus pour leur inventivité, leur créativité artistique hors des sentiers battus de la vieille Europe, et particulièrement de ceux d'une France attachée à ses traditions. Autant dire que les potentielles sources d'importation ne manquent pas ! Alors, qu'attendent donc les Français pour y croire, eux aussi ?