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Le feu aux poudres







3 Juillet 2023

L'embrasement : un refus d'obtempérer fatale et ses conséquences socio-politiques. Décryptant les étincelles de la tragédie de Nahel, Landry Richard, sapeur-pompier, officier de réserve de la Gendarmerie Nationale et auteur du livre "Au-delà des risques", explore la polarisation de l'opinion publique suite à cet incident troublant. Son analyse minutieuse révèle comment un événement isolé peut attiser les tensions et déclencher une réaction collective explosive.


L’expression tire son origine du XVIe siècle, on disait alors « mettre le feu aux étoupes » pour signifier « déclencher la colère ». Dans sa compréhension commune, elle symbolise le fait d’enflammer la poudre à canon, pour déclencher une réaction violente, martiale. 
 
La récupération politique de la mort du jeune Nahel a été quasi immédiate, le Président de la République a rapidement déclaré « Nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable (…) rien ne justifie la mort d’un jeune ». Suivi par de nombreux acteurs de différentes classes politiques, appelant au désordre et à la rébellion pour des élus LFI, jusqu’au maire de Marseille Benoît PAYANT ayant qualifié « d’assassinat » le tir du policier sur BFM TV (L’assassinat étant en droit français la caractéristique d’un meurtre commis avec préméditation). Quelques stars ont également apporté leur concours en soufflant sur les braises de l’indignation. Quelle influence a eu cette communication sur l’opinion publique à l’égard de cet événement ?

Les faits

Le 27 juin 2023 à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, deux motards de la Police Nationale engagent une course poursuite au milieu de la circulation, dense en ce matin de semaine. En effet, un véhicule Mercedes jaune, modèle AMG avec une plaque polonaise, vient de passer devant eux à grande vitesse sur la voie de bus. Le véhicule est occupé par trois personnes, les policiers tentent de l’arrêter, mais celui-ci prend tous les risques pour leur échapper et dans son périple, grille des feux rouges et manque de faucher piétons et cyclistes. Il est 8 h du matin l’heure où de nombreux parents emmènent leurs enfants à l’école.
 
Pris par la densité de la circulation routière, le véhicule s’arrête et les policiers se mettent en position de contact, arme en main pour stopper le conducteur du véhicule et procéder à son arrestation. Ils sont en position latérale côté conducteur du véhicule, dans le respect des règles de sécurité pour le contrôle. La scène est filmée par un témoin, les policiers somment le conducteur de descendre du véhicule, mais après plusieurs refus d’obtempérer successifs, le conducteur redémarre à nouveau son véhicule pour poursuivre sa course folle. Le policier prend la décision de faire usage de son arme, tire et abat d’une balle dans le thorax le conducteur du véhicule, un jeune de 17 ans évidemment sans permis, déjà bien défavorablement connu des services de police.
 
La mort d’un homme est toujours tragique quelles qu’en soient les circonstances et le rôle des forces de sécurité intérieure est avant tout de protéger la vie. Pourtant, le code de la sécurité intérieure prévoit un cadre d’usage des armes très précis. Dans le cadre de cette affaire, l’Article L435-1 du Code de la sécurité intérieure stipule que :
 
Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
 
1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;
 
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;
 
Le jeune Nahel, 17 ans, décédera quasi immédiatement de sa blessure au volant de sa voiture ayant repris une course de quelques centaines de mètres. C’est une règle républicaine absolument normale dans ce cas, l’auteur du coup de feu est placé en garde à vue afin de mettre en lumière les circonstances exactes de l’usage de l’arme. Il est environ 9 h 30. La vidéo circule sur les réseaux sociaux, les médias s’en emparent et le soir même, de nombreuses échauffourées éclatent à Nanterre, mais le phénomène se répand à de nombreuses villes de France. Les jeunes des quartiers s’en prennent aux policiers, aux pompiers et aux institutions publiques. Cette colère, alimentée par la diffusion des images du tir du policier, se développe autour du caractère discutable de l’usage de l’arme. 

Ultima Ratio Regum

La formule date de Louis XIV et signifie « Le dernier argument du roi ». Formule guerrière s’il en est, elle était la citation favorite du cardinal de Richelieu et le roi soleil, la reprenant à son compte l’a fait inscrire sur les canons d’artillerie. Elle pose un concept : Là où sont épuisés les moyens pacifiques et la diplomatie fasse à l’ennemi, s’il ne reste aucune solution raisonnable, le recours à la force est alors l’ultime recours de l’autorité. Les circonstances du tir sur le jeune Nahel seront déterminées par l’enquête, mais pour ce qui est du choix de tirer ou non, en décidant dans l’incertitude, faire le choix de sauver sa vie, celle de son collègue ou en l’occurrence des autres usagers de la route n’est jamais une évidence.
 
La légitime défense qui se décide au moment de la montée d’adrénaline que provoque l’immédiateté d’une situation extrêmement stressante. Que se passe-t-il dans la tête de celles et ceux qui nous protègent ? A ceux qui déclarent que la police tue, pour un policier, un gendarme ou un douanier, le risque de devoir utiliser son arme dans sa carrière est proche de zéro. Dans le cas des refus d’obtempérer (26 320 en 2021 selon le ministère de l’Intérieur) les policiers et les gendarmes ont fait usage de leur arme dans 0,76 % des cas.
 
Dis de cette façon (0,76 % des cas), ça ne paraît presque jamais. Mais en réalité, en France, cela représente 200 ouvertures du feu en une année, soit un peu plus d’un tir, un jour sur deux où l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure a été évoqué dans ses alinéas 1 et 4. C’est beaucoup, c’est trop. Non pas que ceux qui nous protègent utilisent trop leurs armes non ! Il s’agit de souligner qu’à 200 reprises en 2021, la conjonction de circonstances qui ont conduit les forces de l’ordre à faire le choix ultime de l’ouverture du feu, et de ses conséquences. Cela signifie que des conducteurs de véhicules ont provoqué des enchaînements de situations qui ont conduit au « choix de mort ».

Influence

En décriant le policier, en ne respectant pas la présomption d’innocence, les politiques ont provoqué l’embrasement généralisé. « Force doit rester à la loi » aussi, le désaveu envers un policier a été perçu comme un désaveu envers la Police (et les forces de sécurité en général) tout entière. Dans un contexte de défiance générale et de confrontation envers les institutions républicaines, la stigmatisation du policier a légitimé la rébellion envers la représentation de l’ordre. Les sommes d’informations distribuées en un temps record par les réseaux sociaux ont trouvé dans la légitimation politique de la confrontation manichéenne envers les forces de sécurité un terrain parfaitement favorable. « La Police tue, attaquons la Police ». Le passage à l’acte violent est devenu légitime et tire une force supplémentaire dans le caractère désindividualisé du phénomène de foule. (Ce n’est pas moi qui agis en tant qu’individu, mais le groupe auquel j’appartiens). La portée de ce désaveu politique est immense au point d’en être devenu incontrôlable, les cités s’embrasent, les attaques envers les forces de l’ordre deviennent systématiques, les débordements violents s’étendent aux pompiers et aux institutions (représentations de l’État), mais également aux biens privés avec des dégradations et des pillages de magasins.
 
Les appels à l’apaisement ne peuvent plus être entendus par ceux qui ont pris le désordre et le chaos comme arme d’existence. La violence a unifié une population en quête d’appartenance et de réalisation. Bien sûr il ne s’agit pas d’une volonté consciente de donner un blanc sain de violence et pourtant, il faudra bien reconnaître que lorsque la République ouvre une brèche en écartant ses protecteurs, la violence et le chaos s’y engouffrent systématiquement.