Les Messieurs Jourdain des Cleantech






3 Octobre 2013

Les trente dernières années ont été marquées par la montée en puissance des préoccupations environnementales. Après être restées l’apanage de quelques idéalistes ou militants de la non-croissance, ces questions ont été abordées sous l’angle de l’entreprise et de l’industrie par quelques esprits éclairés, décidés à en faire l’atout du nouveau siècle. Les Cleantech sont alors entrées dans l’ère moderne.


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Cleantech ? L’anglicisme ne fait pas l’unanimité. Les défenseurs de la langue française préfèrent parler de « technologies propres », ou « technologies vertes ». Les plus audacieux tentent d’imposer « écotechnologies » ou « éco-innovations ». Qu’importe au fond ce mot-valise : le concept est aujourd’hui bien défini et promis à un bel avenir, et les sites internet sur le sujet fleurissent sur la toile ! Il s’agit des « techniques et services industriels qui utilisent les ressources naturelles, l’énergie, l’eau ou encore les matières premières dans une perspective d’amélioration importante de l’efficacité et de la productivité ». Autant dire, une partie non négligeable des industries créées depuis une vingtaine d’années, un pan complet du secteur le plus dynamique de l’économie mondiale.
 
Comme souvent, c’est un cabinet de conseil américain qui s’est attaché à formaliser cette notion, voici plus de dix ans. Clean Edge a proposé trois fondamentaux pour définir le champ des Cleantech : l’utilisation des ressources naturelles entendues au sens large ; la production systématique de moins de déchets et moins de toxiques ; enfin la garantie d’assurer une performance identique ou supérieure par rapport aux technologies traditionnelles.
 
Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas si mauvaise élève en la matière. Au contraire. Une nouvelle génération de chef d’entreprises a eu l’intuition de rendre compatibles préoccupations environnementales et développement économique, persuadée que l’écologie n’était pas le domaine réservé de quelques rêveurs bercés par les propos visionnaires de René Dumont, le premier porte-parole de l’écologie à la française, dans les années soixante-dix. Remontant quelque trente ans en arrière, Jean-Michel Germa, fondateur de la Compagnie du Vent, leader en matière d’énergie éolienne, se souvient  : « juste après le premier choc pétrolier en 1973, le monde a réalisé quel était le coût véritable de l’énergie. La montée des prix des énergies traditionnelles a eu pour conséquence de mettre le monde scientifique en ébullition. Il y avait à l’époque un fourmillement d’idées nouvelles qui explorait les façons alternatives de produire de l’énergie ».
 
Jean-Bernard Bonduelle, directeur des relations extérieures du groupe éponyme, personnellement très engagé dans le développement durable ajoute de son côté : « cela fait cent soixante ans que nous faisons du développement durable », une façon plein d’humour de souligner que la démarche n’est pas née avec le Grenelle de l’Environnement et autre Sommet de la terre, mais qu’à bas bruit et très tôt, certains industriels ont compris tout le parti à tirer du « produire autrement ». Résultat : nombreuses sont les structures qui ont pris ce tournant de l’éco-économie et ont injecté –à proportion plus ou moins significatives- des technologies propres dans leur circuit de production.
 
D’ailleurs, les Cleantech ne sont pas circonscrites à quelques secteurs industriels étroitement identifiés : la plupart des industries traditionnelles, et en premier lieu les plus polluantes, se sont approprié les technologies vertes et ont mis un peu d’éco-réflexion dans leurs stratégies. Dans un communiqué publié au printemps 2012, Bruno Lafont, PDG des ciments Lafarge, présentait en ces termes le plan « Ambitions développement durable 2020 » qui propose 34 nouveaux objectifs « verts » définis par l’entreprise : « Je suis convaincu qu’il n’y a pas d’économie verte sans industrie verte, ni de monde durable sans une industrie responsable, consciente de sa contribution sociétale et actrice de son propre changement ». Incarnation de cette volonté, le projet de la tour Hypergreen que le cimentier porte avec l’architecte Jacques Ferrier  qui devrait voir le jour dans les prochaines années à Shanghai et se veut un modèle de bâtiment durable, un concentré de Cleantech de… 246 mètres de haut !
 
Souvent pointée du doigt pour sa difficulté à prendre –et à anticiper- les grands virages technologiques, la France n’est donc pas en reste en matière de Cleantech. Les précurseurs du domaine comme Jean-Michel Germa pour la Compagnie du Vent, qui le premier a cru en l’avenir de l’éolien et a su transformer en industrie pérenne une technologie sans aucune visibilité, ou encore Michel Hervé qui a revisité les principes du génie thermique en fondant la société qui porte son nom, sont devenus les porte-paroles de l’ingénieuse ingénierie tricolore.  Depuis, les Cleantech ont pris leur envol, adoptées par passion et raison par un nombre croissant d’industriels et d’entrepreneurs, bien conscients des attentes des consommateurs en la matière.
 
Pour preuve, l’intérêt soutenu que leur porte les investisseurs, peu soupçonnables d’être dirigés dans leur choix par les seules convictions écologiques. Ainsi, l’Association Française des Investisseurs pour la Croissance (AFIC) a créé une structure qui leur est entièrement dédiée, le Club Cleantech. Son objectif est de promouvoir les éco-industries en France et d’y développer le rôle des investisseurs en capital. C’est dire si le créneau vert leur semble porteur et potentiellement riche de retours sur investissements. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et rendent compte du dynamisme du secteur : sur les trois premiers mois de l’année 2013, les membres de L’AFIC ont investi plus de 74 millions d’euros dans 24 entreprises françaises engagées dans le secteur de l’industrie propre.
 
À l’évidence, l’avenir est assez dégagé et ne laisse pas craindre de retour désastreux, type « explosion de la bulle internet » qu’a connue le secteur numérique au début des années 2000, après une période euphorique. Toutefois, qu’ils soient acteurs de terrain, chefs d’éco-entreprises ou financiers, l’unanimité commence à être de rigueur sur la nécessaire implication des pouvoirs publics dans cette dynamique. Jean-Michel Germa, fort de ses constats, en est convaincu :  « pour les énergies vertes, l’enjeu aujourd’hui est de tenir le coup jusqu’à ce que le politique se décide enfin à leur tendre la main ! » Une question de bon sens, pour le fondateur de la Compagnie du Vent, qui rappelle que « au niveau mondial, l’énergie la plus subventionnée est le pétrole, et au niveau national c’est le nucléaire. Dans ces conditions, relève Jean-Michel Germa, entrer résolument dans la transition énergétique, avant qu’elle ne s’impose à nous, permettrait sans aucun doute d’économiser des sommes considérables affectées à des énergies qui n’en ont plus besoin et de les affecter à la création d’emplois durables, et non délocalisables, dans les entreprises d’énergie renouvelable. »
 
Touchant à des secteurs qui engagent la collectivité – choix énergétiques, choix productifs sur des biens courant comme l’eau ou la qualité de l’air – les Cleantech ont posé des bases et organisé des structures. Reste à venir une impulsion publique déterminante pour inscrire dans la durée et dans les volontés politiques un mouvement de fond inéluctable. Ne passons pas à côté d’une des révolutions du siècle commençant.