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Nous sommes allés à CHELM







21 Mars 2022

Alors que la guerre fait rage aux portes de l’Europe, les réfugiés ukrainiens affluent en Pologne. Considérant leur extrême souffrance, des États, des ONG ou encore des citoyens se mobilisent pour apporter soutien, sécurité, nourriture, et peut-être même un sourire. En France, l’ONG FIRE n’a pas hésité à constituer une équipe pour aller tendre la main à ces victimes de guerre. Après dix jours passés à Chelm, en Pologne, Landry Richard témoigne sur cette mission et nous indique comment agir à notre niveau.


En 2015, après le tremblement de terre au Népal, où nous nous sommes engagés avec une poignée de braves dans une opération de secours extraordinaire, j’ai créé l’ONG FIRE, association de pompiers humanitaires. Malgré notre jeune existence, des camps de réfugiés, nous en avons vu. Partout dans le monde. Plus terribles les uns que les autres. Partout, ces mêmes visages. Ceux des enfants d’abord. Toujours souriants, courants et jouant dans les camps comme si la misère autour n’existait pas. De véritables professeurs de résilience. Et puis ceux des grands, victime de la fatalité d’une catastrophe naturelle, aussi surprenante qu’imprévisible. Inévitable. Spécialistes des situations de catastrophes majeures, nos humanitaires se sont spécialisés dans la potabilisation, la recherche et le déblaiement ainsi que dans l’évaluation. 
 
Le 07 mars dernier, nous avons fait le choix d’apporter notre aide aux réfugiés Ukrainiens en acheminant 12 tonnes de matériel vers le camp de CHELM en Pologne, à la frontière entre Ukraine, Pologne et Biélorussie. Notre équipe constituée de 6 bénévoles (dont une sage-femme) est partie de Nancy avec un camion chargé de produits de première nécessité, de matériel médical et d’alimentation. Deux pompiers humanitaires pour le camion, et quatre en protection dans le véhicule de soutien dédié à la protection et à la sécurité de l’équipage.
 
Après 1 700 kilomètres de route, nous sommes arrivés mercredi 09 mars au matin à CHELM où une plateforme logistique a été mise en œuvre grâce aux autorités municipales et à une équipe de bénévoles. Ils y collectent les dons qui arrivent de toute l’Europe et mènent une véritable guerre logistique pour trier et conditionner les acheminements arrivants de façon désorganisés.
Des tris sont effectués par catégories : Matériel médical, produits d’hygiène, alimentation, couvertures, vêtements et jouets. Deux circuits de redistributions permettent d’alimenter selon les besoins le centre d’accueil des réfugiés situé à quelques kilomètres dans le centre des sports de la ville ainsi que les Ukrainiens qui traversent la frontière et viennent directement charger leurs véhicules pour repartir en résistance dans le pays.

Nous sommes allés à CHELM
Nous avons été marqués par ces hommes, fiers de nous montrer les photos de leurs arsenaux militaires installés dans leur salon séjour pour tenir tête aux troupes de l’envahisseur. Ils peuvent ainsi venir se ravitailler de ces produits indispensables à leur survie. Des colosses de près de deux mètres portant des tenues militaires improvisées. Ils ont eu le courage de rouler jusqu’à CHELM en traversant la frontière pour revenir ensuite vers l’Ukraine pleins de vivres et de matériel de soin. L’un d’eux, Marko vient nous dire qu’il est un ancien légionnaire, qu’il a vu le drapeau français sur nos épaules et qu’il est fier aujourd’hui de se battre contre l’envahisseur. On se croirait dans la première partie d’un film de guerre où ces premiers acteurs vont vers une mort certaine. Mais leur détermination est bien réelle. Le sourire de ces hommes est celui de guerriers en réussite qui partent au combat. Il n’y a pas de place pour le doute. Je vois dans leurs yeux la même détermination que celle des sportifs de haut niveau pour qui l’idée de l’échec n’est pas envisageable.  
 
Sur cette base logistique, le responsable nous exprime deux besoins majeurs. Le premier est un besoin de bénévoles supplémentaires pour faire tourner cet entrepôt humanitaire. Le second est d’inviter les donateurs à conditionner les dons sur des palettes et en carton, les dons pêle-mêles demandant des efforts humains considérables pour le stockage et la redistribution.
 
Nous avons ensuite demandé à pouvoir nous rendre vers le camp de réfugiés pour effectuer une analyse des besoins. Dans la ville de CHELM, rien n’indique où se trouve le camp de réfugiés. Est-il à la frontière même ? Le lieu est-il volontairement gardé secret ?
Après une demande officielle aux autorités locales, nous obtenons l’autorisation de nous rendre sur place, l’adresse nous a été communiquée au dernier moment.
 
Nous nous rendons sur place, à l’adresse communiquée par les autorités. Il s’agit d’un grand établissement public de la ville qui a été transformé en camp de réfugiés. À notre arrivée sur place, nous apercevons une trentaine de jeunes adolescents autour du bâtiment. Ils attendent, assis, discutant entre eux. Certains d’entre eux nous approchent, main tendue pour nous saluer et nous remercier chaleureusement de leur présence. L’ambiance est déjà très pesante lorsque nos regards croisent ceux de ces gamins prêts à fondre en larmes. Nous comprendrons plus tard que ce sont des adolescents réfugiés du camp, qui ne sont pas en âge de combattre et qui sont sur la route de l’exil avec leurs parents.
 
L’entrée du bâtiment est gardée par une quinzaine de militaires polonais en armes qui se tiennent à l’écart. Quatre ambulances de pompiers sont stationnées à l’entrée et nous pouvons distinguer que des véhicules des pompiers viennent apporter du matériel. Une vingtaine de pompiers sont présents. Nous nous adressons à eux spontanément pour nous présenter et demander la permission d’entrer. La capacité d’accueil de ce camp est de 600 personnes, mais le taux de remplissages varie constamment, l’enjeu étant de pouvoir ventiler les réfugiés le plus rapidement possible vers des lieux de vie ou vers d’autres pays en mesure de les accueillir.
 
L’entrée du bâtiment est transformée en centre d’enregistrement. À gauche une file d’attente permet de se faire connaître à l’arrivée. Les familles s’enregistrent nominativement avant de pouvoir entrer dans cette salle dont le sol est recouvert des lits de fortune parfois séparés de cloisons improvisées pour accorder un peu d’intimité. Des centaines de femmes, d’enfants et de personnes âgées sont allongées ou assises là, les visages déconstruits. Même les enfants semblent tristes, eux qui nous avaient pourtant habitués à ne montrer que des sourires. Dans un coin de la grande salle, dans ce qui devait être un local à matériel, un espace dédié aux jeunes enfants a été créé. Des tapis de sol et des jeux couvrent toute la pièce d’environs 80 m2. Deux femmes portant le gilet jaune des bénévoles Polonais font office d’assistantes maternelles. Une quinzaine d’enfants jouent entre eux.

Les pompiers nous expliquent qu’un des problèmes logistiques à traiter est celui des animaux, car beaucoup de familles sont venues avec leurs animaux de compagnie. Des membres de la famille à part entière.
 
Le but des autorités est de pouvoir faire partir les réfugiés de ce camp le plus rapidement possible, car d’autres arrivent chaque jour. Aussi, libérer de la place est un enjeu qui dépend des capacités d’accueil et de transport des pays amis.
 
À la sortie de la salle, des comptoirs sont gérés par les représentants de différents pays. États-Unis, Québec, Canada et plusieurs pays de l’Union Européenne. (Mais pas de présence française à Chelm). Ils assurent le dispatching des familles en fonction des capacités d’accueil. Ils recensent ainsi les personnes candidates à l’exil et organisent les rapatriements.
 
Nous avons croisé des étrangers venus avec des bus vides pour conduire des familles vers leurs pays respectifs. Une quarantaine de policiers et de militaires gèrent les comptoirs d’enregistrement et la logistique. La détresse est pesante. Les comptoirs sont des portes où ces femmes ayant laissé leurs maris au combat, voué à une mort certaine, doivent choisir leur avenir comme on choisirait sa file d’attente à la caisse d’un supermarché. Les récits de la Seconde Guerre mondiale raisonnent dans cette vision de la recherche de paix, de survie ou simplement de vie.

Les pompiers nous étreignent, en nous disant cette phrase que nous prononçons souvent : nous autres pompiers somment tous des frères, dans le monde entier. Alors que nous échangeons quelques écussons en prenant des photos du groupe, un bus arrive de la frontière. Il est plein. Des femmes et des enfants chargés de valises. Une maman se presse de sortir les quelques bagages emportés à la hâte, une petite fille attend sur le trottoir devant le bus. Elle a peut-être quatre ou cinq ans, elle ressemble à la mienne. Elle est habillée chaudement, il fait moins deux degrés dehors et il neige un peu. Ses vêtements sont très beaux, elle ne s’arrête pas de pleurer. Ce qui nous choque profondément par rapport à nos missions en Asie ou en Amérique Latine, c’est de voir que ces réfugiés ont une culture très identique à la nôtre, ils sont comme nous, ils sont habillés comme nous, ils nous ressemblent, ils sont nous et nous sommes eux. Nous aurons du mal à retenir nos larmes en regardant nos semblables aux visages déconstruits, effrayés. Ce sont les visages de ces films d’un autre temps où les exodes européens avaient eux aussi été provoqués par la folie d’un homme.

Nous sommes allés à CHELM
Nous échangeons nos coordonnées avec les pompiers de Chelm dans le but de disposer d’un contact sur place. Avec une autonomie de dix jours, les besoins restent importants. Les pompiers nous disent que si nous revenions, il faudrait prévoir des cages de transport pour chiens et chats. Besoin également de lingettes, gel douche, brosses à dents, etc. De l’alimentation pouvant être cuisinée à l’eau tiède, et des médicaments.
 
Sur la route du retour, nous croisons de nombreux réfugiés. Les Ukrainiens les plus fortunés ayant un point de chute chez des amis. Des femmes des enfants et des personnes âgées. À Varsovie c’est un bus entier de femmes et d’enfants qui part vers l’Allemagne. L’émotion est terrible. Plus loin, un bus Luxembourgeois partit sans aide logistique et dont les voyageurs doivent se débrouiller seul avec les bébés et les personnes âgées. Pas de couches de rechange, pas de matériel médical...
 
En conclusion, il me semble essentiel d’alerter nos partenaires et amis sur plusieurs points. Le premier est que les besoins vont persister et que même si la générosité européenne est à saluer, la Pologne n’est pas le vide grenier de l’Ouest. Le conditionnement des produits expédiés doit être propre, et il n’est pas question d’envoyer là-bas des frusques immondes dont nous souhaitons nous débarrasser. Il n’y a pas de besoin en vêtement. Éventuellement en couvertures et sacs de couchage, propres également.
 
Ensuite, un mot pour les très nombreuses personnes qui s’engagent vers une traversée de l’Europe, par charité, pour apporter du matériel et revenir avec des réfugiés sans expérience humanitaire. Il est essentiel de ne pas créer un problème supplémentaire aux pays voisins de l’Ukraine avec des personnes de bonne volonté qu’il faudrait secourir. Ce type de déplacement se prépare, et demande une organisation sérieuse. L’étude des routes, des lieux d’arrivée, la sécurité (vingt ou vingt-cinq heures de route sont une épreuve), la sûreté, les budgets carburants sont autant de points à sécuriser avant le départ. Mais le plus grave serait d’aller chercher des réfugiés dans un camp en Pologne pour en faire des SDF en France. Les autorités françaises ont organisé la prise en charge des réfugiés avec beaucoup de sérieux aussi, il convient de se rapprocher d’elles, et de s’assurer de la prise en charge certaine une fois arrivés en France.
 
De la même façon, les Ukrainiens ne sont pas du bétail. Ce sont des victimes d’une guerre. Les charges mentales, les difficultés individuelles, les handicaps ou l’âge des personnes sont à prendre en considération pour qui souhaiterait faire faire vingt-cinq heures de route à ces personnes. Il est essentiel de se rapprocher des autorités ou des ONG ayant l’expérience de l’humanitaire avant de s’engager, afin de ne pas faire n’importe quoi, de se mettre en danger ou de mettre en danger ceux que l’on souhaite aider.
 
Alors que la guerre fait rage aux portes de l’Europe, les réfugiés ukrainiens affluent en Pologne. Considérant leur extrême souffrance, les États, des ONG ou encore des citoyens se mobilisent pour apporter soutien, sécurité, nourriture, et peut-être même un sourire. En France, l’ONG FIRE n’a pas hésité à constituer une équipe pour aller tendre la main à ces victimes de guerre. Après dix jours passés à Chelm, en Pologne, Landry Richard témoigne sur cette mission et nous indique comment agir à notre niveau.

L’ONG FIRE, une association de pompiers humanitaires a été créé en 2015 par Landry Richard après sa mission eu Népal lorsqu’un séisme a ravagé le pays. En 2021 il a écrit « Népal 2015 » (VA Éditions), ouvrage dans lequel il nous raconte son expérience sous forme de roman.