Papiers d’art, horlogerie, écriture : Michel Adé a le luxe bien en mains






12 Avril 2018

Le marketing du luxe obéit à des règles subtiles qui ne supportent pas la communication de masse. Ses principes sont ici dévoilés par Michel Adé, en raison de sa vaste expérience dans cette industrie très particulière.


Michel Adé, votre premier contact avec le Luxe après votre École de Commerce a été le toucher soyeux des papiers d’art chez Canson/Arches. Racontez-nous cette rencontre qui a été déterminante pour votre carrière ?
 
Au sortir de mes études, je suis entré chez Arjomari Prioux qui allait devenir Arjowiggins deux ans plus tard. Mon choix s’était porté sur une carrière marketing et, à la différence des marques de grande consommation qui offraient plutôt des carrières nationales, Arjowiggins m’avait proposé une carrière de chef de produit à dimension européenne. Après avoir grimpé les échelons dans les différents métiers du marketing et de la vente, dans un univers plutôt B to B et international, je suis entré chez Canson. J’ai alors eu l’opportunité de travailler sur des produits très nobles que sont les papiers pour les Beaux-Arts. Ces papiers ont une histoire séculaire et sur lesquels de très grands artistes ont travaillé, de Ingres jusqu’à Warhol en passant par Dali et Picasso. L’ensemble de la campagne d’Egypte de Napoléon a également été retranscrite sur des papiers d’Arches. Ma responsabilité était la direction d’une unité qui allait de la production à l’usine d’Arches dans les Vosges jusqu’à la transformation chez Canson Inc. aux Etats-Unis. J’étais responsable des ventes globales, du développement produit et de la communication.

Ma mission était passionnante parce qu’elle m’a permis de découvrir l’univers des Beaux-Arts et de découvrir les consommateurs européens, américains et asiatiques. J’ai également travaillé avec des grands éditeurs d’Art. Il y avait alors des enjeux technologiques importants tel que l’adaptation des papiers historiques d’Arches à l’impression digitale dans le domaine de la photo.
 
Vous avez ensuite exercé vos talents chez Richemont, référence mondiale dans l’industrie du Luxe, à la fois dans de petites structures horlogères mais également pour un géant issu de l’écriture comme Montblanc. Comment gérer son réseau ainsi que l’expérience d’achat dans ces conditions très différentes ?
 
Après les onze années passées chez Arjowiggins, j’ai souhaité réorienter ma carrière vers un univers qui me passionnait depuis mon adolescence : l’horlogerie. En 2000, Richemont s’appelait encore Vendôme Luxury Group. Il a changé de dimension avec le rachat des marques Jaeger-LeCoultre, International Watch Company et A. Lange & Söhne. Ces structures devenaient plus importantes et une nouvelle organisation a été créée : Richemont Haute Horlogerie qui gérait les sept marques horlogères que sont Baume & Mercier, Panerai, Piaget, Vacheron Constantin en plus des trois que j’ai cité précédemment. Je suis rentré dans ce groupe comme directeur de Richemont Haute Horlogerie pour la zone Espagne et Portugal. Puis j’ai géré la marque A. Lange & Söhne sur l’Europe de l’Ouest et le groupe Richemont m’a finalement proposé de prendre la direction générale de Montblanc en France pendant sept ans.

Le trait commun à ces différentes expériences chez Richemont c’est l’horlogerie. J’y ai appris la vente dans un univers très particulier avec une approche de clientèle spécifique. J’ai eu la chance d’être au contact de sept marques distinctes ce qui m’a permis d’acquérir une connaissance large sur l’horlogerie. L’horlogerie de diffusion importante comme Baume & Mercier ainsi que l’horlogerie très exclusive comme Vacheron Constantin ou A. Lange & Söhne. Je suis arrivé ensuite chez Montblanc à l’époque où la marque voulait se développer sur un spectre assez large allant de l’horlogerie classique à la haute horlogerie. Montblanc possédait un réseau conséquent de boutiques propres ce qui lui permettait de toucher plusieurs clientèles et de les faire venir sur l’horlogerie. La connaissance directe de la clientèle est un avantage fondamental pour une marque de luxe. De plus, le fait d’avoir des gammes diversifiées permet de faire du cross selling, c’est-à-dire de faire passer le client d’un type de produit à un autre. Cela permet également de faire du  up-selling, soit faire passer le client sur des produits plus haut de gamme. C’est là une différence entre une marque généraliste comme Montblanc et des marques plus spécialisées, ces dernières peuvent difficilement justifier d’un réseau retail développé pour des raisons économiques et par conséquent ne possèdent pas les mêmes moyens pour séduire leurs clients.
 
Vous qui avez sillonné le globe pensez-vous qu’une PME indépendante peut y imposer aujourd’hui sa marque dans le luxe ?
 
Dans l’univers du luxe, les entreprises indépendantes ou les marques de taille moyenne ou petite ont tout leur intérêt. Le luxe a besoin de diversité, que ce soit au niveau de l’offre produit, de l’identité ou du positionnement. Une trop grande uniformité va à l’encontre des attentes de la clientèle du luxe, d’autant plus dans un monde très globalisé. Je pense que les petites marques ont un bel avenir si elles possèdent une réelle différenciation au travers de leur produit et leur qualité mais également une réelle identité de marque. Je crois fondamentalement en la notion de savoir-faire, qui est essentiel aux petites marques pour se distinguer.

C’est par ailleurs une mission passionnante que de s’atteler au développement d’une petite marque avec le professionnalisme d’une grande et des circuits de décision bien plus courts. Pour cela il faut travailler l’authenticité de la marque, le design des produits, leur qualité intrinsèque, leur fonctionnalité. On se doit actuellement de maitriser la traçabilité du produit et tout son développement sur les plans environnementaux et sociaux. La culture fondamentale de la marque doit-être respectée pour cette quête d’authenticité, ce qui n’est pas antinomique avec la capacité de la moderniser régulièrement.  D’un point de vue économique, le développement d’une marque petite ou moyenne doit être très sélectif. Le déploiement international d’une marque nécessite de très gros investissements pour exister, que ce soit en visibilité ou en image. La sélectivité doit porter sur les modes de distribution, la géographie mais aussi l’offre produit. Cela permet de concentrer ses efforts et toucher sa cible de clientèle dans les meilleures conditions économiques. Les coûts d’approche et de développement étant très élevés, pour rayonner avec efficience, une petite marque se doit de faire du ciblage et de concentrer fortement ses investissements là où elle a identifié avoir son plus haut potentiel.
 
Internet a-t-il révolutionné le luxe comme d’autres secteurs ? Dans quelle partie de la relation client l’avez-vous constaté ? Les secteurs de l’écriture et de l’horlogerie que vous connaissez bien font-ils exception à cette rupture ?
 
Internet révolutionne toutes les activités, y compris le luxe et, évidemment, l’horlogerie et l’écriture. C’est le cas pour la diffusion des produits comme pour la communication des marques. Ainsi seul l’internet peut permettre de donner un accès presque mondial aux marques en distribution au travers du E.Commerce et une aura planétaire par les réseaux sociaux avec des investissements raisonnables. La digitalisation devrait permettre à de plus petites marques d’augmenter sensiblement leur rayonnement.

Les nouveaux enjeux du digital sont la connaissance du client, ses attentes et ses envies afin de le séduire et le toucher avec plus de précision. La clientèle du luxe a des attentes qui dépassent le simple acte d’achat, elle souhaite vivre une réelle expérience. Le luxe ne se conjugue plus seulement au verbe « avoir » mais de plus en plus au verbe « être ». Il s’agit de vivre des expériences, d’entrer dans un univers séduisant qui surprend. Le client doit avoir l’impression qu’il devient membre d’un Club exclusif, ou d’une communauté particulière. Le digital permet de mieux connaître les attentes du client et de construire cet univers autour de lui, univers de passion et d’émotion qui sont les vraies clés du Monde du luxe. Cependant la relation digitale au client ne doit pas être intrusive ou répétitive car elle casserait la passion et la magie de l’exceptionnel. Il faut s’adapter aux différents types de clientèle selon leur culture et leur niveau d’exclusivité. L’exploitation trop quantitative des données trouve ses limites dans l’univers du luxe. Il faut recueillir de façon subtile des éléments de compréhension du client, mais sans le harceler de propositions. Enfin la digitalisation va permettre d’accroître crucialement le niveau de formation des vendeurs et d’améliorer l’ensemble des flux, depuis les impératifs de production jusqu’à l’information précise du client sur la disponibilité des produits sur le lieu de vente.