Rencontre avec Jean von Polier: « c’est l’enthousiasme et les qualités managériales qui permettront de monter un projet ».






15 Mai 2017

Jean von Polier a un parcours atypique. Après une première carrière comme militaire dans l’Armée de l’Air, il est rentré à l’INSEAD avant de rejoindre BNP Paribas. Il s’est ensuite décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale avec Easy Verres: un succès.


Qu’avez-vous retenu de votre passage à l’Ecole de l’Air et de votre expérience de pilote de chasse ? N’est-ce pas une expérience singulière et formatrice pour un chef d’entreprise ?
 
J’ai été officier pendant neuf ans. Après mon passage à l’école des officiers de l’Armée de l’Air j’ai suivi la formation des pilotes de chasse, temple du dépassement de soi et de la culture de l’excellence. Puis je suis devenu pilote de Hercules C-130 en charge, notamment, du ravitaillement des armées françaises sur les différents théâtres d’opérations. Nos parcourions toutes les zones de conflits principalement en Afrique, Moyen-Orient et les Balkans. J’ai ensuite été sélectionné pour intégrer le GLAM (rebaptisé ETEC Alpha) sur Falcon 50. Le GLAM une unité spéciale de l’Armée de l’Air dont la fonction est de transporter le Président de la République et le gouvernement. C’était une expérience absolument passionnante où je n’avais pas le droit à l’erreur.
Mais toutes les périodes, même les plus fantastiques, ont malheureusement une fin. Arrivé au grade de capitaine, j’avais déjà fait le tour de ma carrière opérationnelle et participé aux principales missions de l’Armée de l’Air. Gérer la fermeture des bases aériennes dans un bureau de l’état-major ne me faisait pas rêver. J’ai donc quitté l’armée en 2004.
Ce parcours m’a appris la rigueur, l’excellence et l’autonomie. Car en pilotant, on est amené à gérer des situations de stress parfois intense. On doit calculer les prises de risque sans pouvoir bénéficier d’une aide extérieure. Et une fois posé, dans un pays en guerre, le pilote ne peut pas se reposer sur sa base habituelle, il faut s’adapter à la situation de crise et s’assurer de la poursuite de la mission.

Après votre passage dans l’armée, vous entrez chez BNP Paribas en passant par l’INSEAD. Quelles sont les raisons de ce changement de carrière radical ? Avez-vous retrouvé des points communs avec votre ancien métier ?  

En quittant l’armée, j’ai eu besoin de nouveaux challenges et de découvrir de nouveaux horizons. Je suis donc rentré à l’INSEAD et je me suis rendu compte que l’environnement des salles de marchés et du monde de la finance était assez proche de celui que j’avais pu connaitre dans un cockpit. En effet, on doit gérer en temps réel des situations complexes, analyser rapidement, décider et agir sans retour en arrière possible.
Après l’obtention de mon diplôme, je suis rentré chez BNP Paribas où j’étais en charge de développer la vente de produits financiers complexes sur actions et matières premières auprès de petites banques privées en Suisses alémanique. Nous avions une nouvelle démarche, pro-active. Plutôt que d’attendre les appels d’offre des grosses banques suisse, nous allions voir les petites banques privées à qui nous proposions nos produits en dehors du cadre compétitif des appels d’offre. Les volumes étaient certes plus faibles, mais les marges bien plus attractives. Ce business développement a très bien marché jusqu’à la crise des subprimes. A partir de ce moment là, tous les produits financiers complexes ont eu très mauvaise presse et l’activité s’est brutalement arrêtée. 

Vous décidez ensuite, de vous lancer dans un projet de vente de lunettes sur internet. Pouvez-vous nous expliquer les motivations de ce choix ?  

Avec la crise des subprimes, et la mise en sommeil de notre activité, tout le monde cherchait de nouvelles opportunités. C’est un peu par hasard que je me suis tourné vers le monde de l’optique. Je ne porte pas de lunettes, mais j’avais été interpellé par mon père et ses nouvelles lunettes qui lui avaient coûté pas loin de 1000 euros. Pour un bien de consommation courante, ce prix m’a semblé disproportionné. Mon père était satisfait de ses lunettes qui lui rendaient la vue, mais pour un simple bout de plastique, les marges devaient être absolument fantastiques. J’ai donc décidé d’explorer en profondeur ce marché des lunettes.
Je suis issu d’une famille d’entrepreneurs. Ça ne me faisait pas peur de me lancer dans un projet comme celui là et de découvrir un nouveau secteur. Après quelques recherches, j’ai vu qu’il y avait des possibilités d’optimiser la distribution des lunettes. C’est en effet un produit à très forte marge, avec de trop nombreux points de vente et une part d’internet quasi nulle. De plus les pouvoirs publics souhaitaient réduire le prix des lunettes.
Aussi, fin 2009, je me suis lancé avec mon associé dans un projet alliant baisse des coûts et service de proximité, en partenariat avec les opticiens locaux.

Pouvez-vous nous expliquer davantage comment vous avez réussi à monter ce projet innovant ?

Dès le début, j’ai souhaité associer un ami à ce projet. Nous étions très complémentaires, moi dans l’analyse, la conception et l’opérationnel, et lui davantage dans la vente et dans la mise en place de partenariats avec les assureurs santé. Cette synergie fructueuse et nous a permis d’avancer.
Pour autant, nous avons dû faire face à de nombreuses difficultés. La première a été de créer un site internet de vente en ligne clair et performant. Nous avons dû dans un second temps, convaincre des opticiens de collaborer avec nous. Un peu comme si Uber proposait une collaboration aux taxis. Ce fut difficile, mais en passant moi-même mon BTS d’opticien et en leur montrant que nous avions une démarche respectueuse du métier, nous avons réussi.  Nous travaillons aujourd’hui avec 800 opticiens dans toute la France.
Nous avons aussi eu des difficultés avec les fournisseurs, quelques verriers avaient peur de discréditer leur image et de se fâcher avec leur clientèle. Nous avons fini par y arriver puisque nous travaillons avec Essilor et Carl Zeiss. Il a aussi fallu stabiliser le cadre règlementaire. Ce fut le cas avec la loi Hamon de 2014 qui encadre la vente de lunettes sur internet.
Enfin, et c’est toujours pour nous un challenge, nous devions convaincre le client de la pertinence de notre offre. Une garantie de remboursement ne suffit pas. Nous nous sommes donc appuyés sur les assurances santé en nouant des partenariats avec les mutuelles. Désormais, ces dernières nous recommandent ce qui permet aux consommateurs d’être en confiance. De plus, nous sommes les seuls à offrir sur internet un tiers payant en temps réel. Une offre dynamique nous permet de calibrer le catalogue au remboursement des visiteurs. Nous pouvons ainsi garantir à nos clients des lunettes sans rien payer. Cette offre fut extrêmement complexe à mettre en place et est aujourd’hui enviée par les grosses enseignes nationales qui se demandent encore comment intégrer une offre digitale.

En tant qu’ancien pilote et désormais entrepreneur, quelle place accordez-vous à l’intuition au quotidien ?

Il faut savoir écouter son intuition, elle permet d’aller vite, et de nourrir l’innovation. Mais il faut aussi savoir la remettre en question. L’intuition seule ne suffit pas. Elle reste cependant souvent le germe d’un projet, mais il est indispensable de l’étayer par une analyse pragmatique et rationnelle pour le valider. Puis c’est l’enthousiasme et les qualités managériales qui permettront d’entrainer le reste de l’équipe et de le mener à bien.

Avez-vous d’autres projets en tête ?

J’ai toujours de nombreuses idées. Mais aucune pour l’instant qui soit suffisamment sérieuse pour un nouveau projet entrepreneurial. Concernant, Easy Verres il y a toujours des petites bricoles à améliorer. Nous continuons à fluidifier les process du coté front / client comme du coté back-office. Les améliorations du coté front nous permettent d’améliorer le taux de transformation et les améliorations du côté du back office nous permettent de réduire les coûts de traitement.
Nous sommes cependant arrivés au terme d’un cycle. Easy Verres est maintenant une affaire profitable et autonome. Je reste à l’écoute du marché et prêt à relever de nouveaux défis.