Vers une reconquête de la souveraineté technologique française






1 Mars 2022

Les sujets de la souveraineté technologique sont d’une importance réelle. Chaque domaine qui nous entoure est aujourd’hui concerné, ce qui devrait inciter la France et l’Europe à agir pour gagner son indépendance technologique. Maurice Allègre, ancien délégué à l’informatique et haut fonctionnaire vient de publier « Souveraineté technologique française » (VA Éditions) dans lequel il nous raconte les abandons et nous justifie la reconquête que nous devons mener.


Votre livre sur la souveraineté technologique est-il d’actualité ?

Oh oui, pleinement. Déjà, beaucoup de problèmes commençaient à émerger au moment où le livre a été écrit, à l’été 2021. Ils n’ont fait que s’amplifier depuis et n’ont pas quitté la première page des journaux. D’autres, spécifiquement français, latents et depuis longtemps sans solutions, ont pris un relief nouveau.
Certains sujets (composants électroniques numériques, cloud souverain, cybersécurité, changement climatique, transition énergétique, pic pétrolier et intermittence des énergies renouvelables, nucléaire) sont traités avec le détail nécessaire en vue de justifier les prises de position tranchées et parfois hétérodoxes figurant dans le livre.
D’autre sujets fondamentaux (Education nationale, rapprochement recherche publique-industrie, réindustrialisation, etc.) sont à peine effleurés et certains autres seulement cités (dette, simplification et efficacité de l’administration etc.).
Tous les sujets abordés dans la deuxième partie de ce livre sont d’urgentes et « ardentes obligations », pour reprendre la formule célèbre de Pierre Massé, ancien Commissaire au Plan.
 
Sauf hélas à parler de la guerre en Ukraine, on ne peut guère être plus dans l’actualité qu’en s’intéressant aux thèmes évoqués dans la deuxième partie.

Pourquoi avoir également écrit une première partie qui raconte le Plan Calcul, vieux de plus d’un demi-siècle ?

Je me suis, c’est vrai, posé la question mais finalement j’ai procédé ainsi pour un ensemble de raisons.
 
Une raison chronologique d’abord. Les circonstances m’ont conduit, un demi-siècle auparavant, à occuper assez tôt dans ma carrière et pendant six années, un poste de haute responsabilité consistant à piloter le « Plan Calcul ». Cette ambitieuse opération de politique industrielle n’a pu, pour des raisons indignes, aller à son terme alors même que nous venions de créer avec les allemands l’Airbus de l’informatique UNIDATA. L’expérience acquise au cours de cette période aussi exaltante que pénible m’a permis de bien comprendre les écueils à éviter en matière de politique industrielle.
 
Ecœuré par la manière dont s’était terminée cette aventure, je pensais avoir définitivement tourné la page de l’informatique mais j’ai tout de même estimé indispensable de laisser un témoignage écrit de « la vraie histoire du Plan Calcul ». Il fallait montrer que le plan Calcul n’avait pas échoué, comme on le croit communément aujourd’hui. Il avait au contraire réussi en créant Unidata qui, avec le soutien prolongé des deux Etats français et allemand, pouvait devenir le champion européen de l’informatique. Au lieu de cela, Giscard d’Estaing, nouveau Président élu, pourtant réputé proeuropéen, céda aux manœuvres tortueuses égoïstes d’Ambroise Roux, Président du groupe CGE et effaça d’un trait de plume Unidata, la Délégation à l’informatique et 8 années d’efforts opiniâtres et de dépenses publiques au profit d’une solution américaine (Honeywell) qui a coûté fort cher au contribuable et qui, malgré les camouflages, a totalement échoué.
 
On constate d’étranges similitudes entre la situation présente et celle rencontrée il y a un demi- siècle : nous avions par exemple déjà détecté l’importance colossale qu’allaient revêtir les puces numériques mais personne ne nous a crus ; l’effet de domination exercé à l’époque par la série d’ordinateurs 360 d’IBM se transpose aujourd’hui en la domination mondiale des clouds des GAFAM ; aucun des grands champions mondiaux de l’informatique n’est européen. En 50 ans, nous avons très insuffisamment progressé. Il est plus que temps de se réveiller si nous voulons encore exister demain !

Dans votre ouvrage, parlez-vous uniquement de la France ou également de l’Europe ?

Des deux bien entendu. J’ai moi aussi une certaine idée de la France et j’enrage de la voir glisser inexorablement dans beaucoup de classements internationaux. Foin des picrocholines et stériles querelles idéologiques et autres quand la maison brûle ! Les français doivent enfin comprendre que la puissance économique est un préalable nécessaire pour être pris au sérieux dans un monde sans pitié pour les perdants. Nous devons être capables de regarder la réalité en face et, après avoir fait ensemble les indispensables corrections de trajectoires, de développer à nouveau une industrie tournée vers le futur. Le remarquable parcours de la French Tech montre que c’est possible.
Cela dit, il existe des domaines stratégiques ou très lourds en investissements pour lesquels la réponse ne peut être qu’Européenne. Les composants électroniques numériques de pointe en sont le plus bel exemple. La prise de conscience de l’importance de la souveraineté technologique européenne est réelle et laisse espérer le lancement futur de politiques industrielles de reconquête.
 
En tout cas, grâce à Monsieur Poutine et à la vaillance des ukrainiens, l’année 2022 pourrait entrer dans l’histoire comme étant celle où l’Europe aurait enfin compris qu’elle était une puissance mondiale…..